En salles 07/06/2023

Liban, mon beau pays : Carlos Chahine du court au long

Le fils du joueur, l’un des courts métrages de cet excellent acteur et réalisateur d’origine libanaise, est à voir sur Brefcinema et son premier long métrage, La nuit du verre d’eau, débarque dans les salles à partir du 14 juin, à son tour nourri de nombreux éléments autobiographiques. Il sera distribué par Jour2fête et JHR Films tout à la fois.

Cette rubrique “Du court au long” s’attache la plupart du temps à chercher des liens à tisser, qui sont du reste souvent évidents, entre un ou des courts d’un ou une cinéaste et son premier long métrage. Pas besoin d’aller bien loin avec ce beau film signé Carlos Chahine, dont le parcours – d’acteur à réalisateur – se nourrit directement et sans fard de son vécu, donc assumant sa large part autobiographique, avec en filigrane l’histoire de son pays natal, le Liban, qu’il a quitté lorsque la guerre a commencé à embraser ce petit état multiculturel que l’on se plut longtemps à voir comme la “Suisse du Proche-Orient”.

Dans La nuit du verre d’eau, la menace d’un conflit civil plane, entre différentes factions et/ou groupes religieux, mais on se situe avant le basculement dans l’abîme. Le film se place à hauteur d’enfant, à savoir Charles, dont le prénom si proche de celui du réalisateur ne prête guère à confusion : l’action se déroule à l’été 1958 et si Carlos Chahine est né en réalité l’année d’après, il y a une très probable transposition autobiographique, jusque dans la manière d’observer le monde des adultes, d’ailleurs très proche du petit garçon de L’île rouge de Robin Campillo à Madagascar, notamment les désirs interdits, adultères, générés par la mésentente au sein du couple parental, provoquant un éloignement, sinon une séparation, ce qui est inimaginable quand on a huit ans.

Charles a une relation fusionnelle avec sa mère, Layla, épouse parfaite dans cette société patriarcale corsetée et qui va peu à peu s’émanciper alors que la situation politique s’assombrit et au contact d’un médecin français discret, presque féminin dans sa manière d’être (incarné par Pierre Rochefort), aux antipodes de la construction masculine machiste reproduite de génération en génération – et personnifiée, presque malgré lui, par le père de Charles.

Le point de vue rappelle celui du Fils du joueur, actuellement en ligné sur Brefcinema, où un gamin, peu aventureux, devait aller récupérer son père dans un tripot à l’autre bout de la ville – Tripoli, en l’occurrence, au nord-ouest du pays – pour le ramener à bon port à la maison, à ce moment charnière de 1975 où le pays allait sombrer dans le conflit qui devait le conduire à la ruine et la désolation.

Dans La route du nord, en 2009 (sélectionné alors à Clermont-Ferrand, voir Bref n°88), Carlos Chahine incarnait un homme revenu de France dans le but de récupérer la dépouille de son père, vingt ans après sa mort, pour l’emmener reposer dans son village d’origine, dans les montagnes – la même région que celle où se déroule l’action dans La nuit du verre d’eau. Il découvrait au passage, à Beyrouth, une géographie urbaine nouvelle, à mille lieux de ce qu’il avait pu connaître, alors que la ville profitait d’une période pacifique pour renaître, vivre, espérer.

C’est donc aussi un tableau de l’histoire du pays qui se constitue pièce par pièce dans l’œuvre de Chahine, en parallèle et en compléments d’autres œuvres d’auteur(e)s de ses compatriotes, également actifs dans le paysage du cinéma français (Danielle Arbid, Wissam Charaf, Jihane Chouaib, Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, Chloé Mazlo, etc.), entremêlant avec grâce la grande histoire et l’écheveau des souvenirs les plus intimes.

Ainsi, ce détail en apparence anodin d’un verre d’eau réclamé durant la nuit à sa maman, lorsque la soif est un prétexte pour la retenir, s’affirme-t-il de manière bouleversante, scellant un destin, un choix de vie, un déchirement sûrement… Et c’est avec bonheur qu’on accueille ce passage au long, élégant et pénétrant, d’une personnalité délicate et généreuse, ne s’engluant jamais dans le nombrilisme même en se retournant sur sa propre trajectoire, à la soixantaine passée. 

Christophe Chauville

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