En salles 13/09/2021

Les surprises de l’amour selon Charline Bourgeois-Tacquet

Présenté en séance spéciale des 60 ans de la Semaine de la critique au mois de juillet, le premier long métrage de Charline Bourgeois-Tacquet est à voir au cinéma cette semaine.

Les Amours d’Anaïs, premier long métrage de Charline Bourgeois-Tacquet, gagne les écrans de l’Hexagone le 15 septembre, deux mois après sa présentation cannoise à la Semaine de la critique 2021. En cinq ans, deux courts et un long, la réalisatrice s’est fait un nom et a entamé un parcours aux lignes rafraîchissantes.

Survol biographique. Naissance dans une ville côtière de Charente-Maritime, coup de foudre pour le métier d’actrice en voyant ado Isabelle Huppert jouer Médée sur scène, cinéphilie autodidacte, études de lettres et cours de théâtre à Paris, petit boulot aux éditions Grasset, et petits rôles dans Pas son genre de Lucas Belvaux, Qui c’est les plus forts ? de Charlotte de Turckheim, Floride de Philippe Le Guay et L’avenir de Mia Hansen-Love. L’écriture la taraude en parallèle, et le producteur Philippe Carcassonne l’encourage à réaliser ses propres scénarios.

Elle démarre donc des courts métrages autoproduits, dont l’un fait mouche. C’est Joujou (2016, photo ci-dessus), variation autour de la Fausse suivante de Marivaux. L’amour de la langue, des mots, des dialogues, du rythme, de la musicalité, et des jeux de l’amour et du hasard. L’énergie, la vitesse, le mouvement. Tout est déjà là, présent ou en germe, avec une spécificité, l’incarnation par elle-même de Pauline, l’héroïne volubile de cette fantaisie sur les apparences, la dissimulation, le dévoilement, et le déplacement de soi, dans les murs et rues de Paris. Comme la protagoniste juvénile de Pauline à la plage d’Éric Rohmer (1983), la jeune femme est à la fois actante et témoin de la circulation des corps et désirs, et comme la Pauline de Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau (1982), elle agit, réagit, s’enflamme et virevolte au gré de ses émotions. Un prénom phare, qui devient aussi celui de son personnage titre suivant.

Déjà lancé à la Semaine de la critique, Pauline asservie (2018, photo ci-dessus) bénéficie cette fois d’une production “pro” (Année zéro) et d’une actrice vedette, Anaïs Demoustier. Toujours de la logorrhée, avec des dialogues en cascade, que l’auteure met dans la bouche de cette donzelle venue se poser quelques jours dans le Beaujolais, avec son amie Violette (Sigrid Bouaziz), mais dont l’esprit est obsédé par son lien avec son amant marié quinqua. Le fil dramatique tourne autour des SMS, de leur timing et de l’interprétation mélodramatique qu’en fait Pauline. La littérature encore : elle, en pleine thèse, lui, écrivain. La vivacité des échanges influe sur les corps, le long de déplacement en voiture, dans la campagne, les vignes, dans les pièces et jardin de la maison. L’esprit en marche autant que la langue déliée.

La rencontre cinéaste/interprète fonctionne si bien que le duo souhaite approfondir ce lien créatif, d’autant que Charline s’est déjà attelée à son premier long métrage, qu’elle va fignoler pour sa comédienne. Les amours d’Anaïs se peaufine, avec le propre prénom de sa nouvelle alliée, pour mieux brouiller les pistes. Les jeux de l’amour, du sentiment et du désir, encore. L’inflexion des mots sur les corps, sur la scénographie et la mise en scène, encore. La décomplexion des genres et des cases sociétales, encore. Les curseurs sont poussés et les lignes creusées.

Avec son jeune chef opérateur Noé Bach et ses coproducteurs d’Année zéro, la réalisatrice fait le lien de Pauline à Anaïs. La même croyance joyeuse dans le cinéma irrigue les veines de son écriture, de sa caméra et de son montage. Le dynamisme règne du fond à la forme, pour mieux masquer les coups (avortement, maladie de la mère) qui pourraient assommer le personnage, casse-cou existentielle instinctive. Les héroïnes de Marivaux ont trouvé leurs héritières dans la screwball comedy hollywoodienne, puis chez Rappeneau et De Broca, que la cinéaste digère et réinvente avec malice. Et toujours ce vagabondage d’attirance décomplexée. Dans Joujou, Pauline et Balthazar jouent de l’apparence féminin/masculin, que celle-ci s’approprie au final avec goût personnel, tout en découvrant que leur prêteuse d’appartement aime les femmes et que leur caméraman en pince pour Balthazar.

Dans Pauline asservie, la partouze improvisée, en ellipse, débouche pour Violette sur le questionnement quant à l’attirance commune avec Annabelle. Quant à Anaïs, elle tombe amoureuse de la femme de son amant (Denis Podalydès), romancière (Valeria Bruni Tedeschi), qui elle aussi craque pour sa cadette, au soleil de la campagne bretonne et dans le sable du bord de mer. Tout bouge, vibre, palpite dans l’univers devenu sensuel et lumineux de Charline Bourgeois-Tacquet.

Olivier Pélisson

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