En salles 20/09/2022

Été 1982 : Libre Garance ! de Lisa Diaz

Lisa Diaz, qui avait remporté en 2020 le Prix du public au Festival Côté court de Pantin avec Éva voudrait, signe son premier long métrage, qui arrive cette semaine dans les salles de cinéma.

À l’intérieur des rangs serrés de la cohorte des premiers ou deuxièmes longs métrages distribués en cette rentrée 2022, signés de jeunes réalisatrices en particulier, Libre Garance ! n’est pas le plus médiatisé, mais n’en mérite pas moins de s’y attarder comme il se doit.

Présenté dans le cadre de la dernière édition de Cannes Écrans Juniors, le film s’adresse en effet possiblement à un jeune public adolescent en premier lieu, mais pas exclusivement, bien entendu. L’identification à l’héroïne, la Garance du titre, peut être aisé pour les ados d’aujourd’hui, même si l’action se déroule quarante ans en arrière, à l’été 1982. Il n’est pas question de la Coupe du monde en Espagne, mais du contexte post-Seventies, alors que les rêves de la décennie précédente ont du plomb dans l’aile et que ceux qui ont suivi le mouvement hippie en s’installant dans des campagnes reculées pour refuser la société de consommation sont devenus des originaux, sinon des marginaux.

C’est le cas des parents de Garance et la peinture par Lisa Diaz de cet environnement “communautaire” finalement peu connu, voire oublié aujourd’hui, est vivante et précise, surtout lorsque font irruption dans ce bucolique tableau ensoleillé des activistes italiens armés, ayant procédé à un braquage et se cachant des forces de l’ordre dans les forêts des environs (cévenoles en l’occurrence). L’ombre des Brigades rouges et de la lutte armée qui marqua l’Europe de la fin des années 1970 s’étend ainsi sur la période charnière que la fillette, âgée de onze ans, s’apprête à connaître en ces grandes vacances changeant sa vie, avec de premières prises de conscience – y compris politiques – et l’apprentissage du secret.

La chronique familiale se fait ainsi initiatique, d’autant que le moment est aussi celui que choisit la mère, jouée par Lolita Chammah, de Garance et de sa petite sœur Louise pour mettre les voiles, menée par sa soif de liberté et sans s’embarrasser de scrupules envers ses filles (mais c’était ainsi dans les modes de vie dits alternatifs !). L’imprégnation féministe du propos – qu’incarne aussi le personnage de Michelle, amie de la famille un peu fofolle, à qui Laetitia Dosch prête sa fantaisie évaporée – rappelle celle du moyen métrage Éva voudrait (photo ci-dessous), portrait d’une femme à l’aube de la quarantaine désirant saisir l’une de ses dernières chances d’avoir un enfant. Le ton buissonnier du film s’éloignait de tout risque de “film à thèse” démonstratif et empruntait des chemins aussi libres et imprévus que la façon de vivre et d’agir de son héroïne.

On pense aussi à la figure maternelle de Ma maison, déjà produit (comme les deux autres titres cités) par la société rennaise À perte de vue. Dans ce court métrage de 2016, un homme venait vider la maison de sa mère décédée et trouvait des photos de la jeunesse de celle-ci – où elle l’attendait, notamment – et découvrait des poèmes rageurs inscrits au verso et contredisant l’idyllique représentation du “bonheur” du recto, sans doute dans la période de l’après-Mai 68, déjà.

Une certaine violence derrière une apparence de sereine douceur, telle est enfin l’une des lignes directrices de l’univers de la réalisatrice, qui avait aussi touché au polar par l’intermédiaire de la série de courts 100% bretonne Braquages (2012), dont elle avait signé le segment La place du Maure, avec Sabrina Ouazani. Un tel motif policier resurgit dans Libre Garance ! à travers le personnage de Tozzi, ce brigadiste en rupture de ban qui fascine vite la gamine, pour qui rien ne sera plus tout à fait pareil après cet été décisif.

Christophe Chauville

À voir aussi :

- Un focus Laetitia Dosch sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Éva voudrait récompensé à Côté court, organisé en ligne, en 2020.

- Un autre premier long métrage de la rentrée 2022 : Tout le monde aime Jeanne, de Céline Devaux.