Emma Benestan du court au long : sous le soleil…

Depuis 2014, le nom d’Emma Benestan est souvent revenu au sein des réseaux du jeune cinéma français, jusque dans sa récente collaboration, en tant que coscénariste, à Haut les cœurs d’Adrian Moyse Dullin, sélectionné en compétition officielle des courts métrages du Festival de Cannes. Surtout, la native de Montpellier aura réalisé – seule ou en duo – cinq courts ou moyens métrages en autant d’années, souvent très remarqués en festivals et ailleurs.

Aujourd’hui, elle sort son premier long, Fragile, tourné dans sa région d’origine, en Occitanie (comme Belle gueule, Prends garde à toi et le documentaire camarguais Un monde sans bêtes) et baigné du soleil du Golfe du Lion, comme disent les bulletins météo. Elle a fait pour l’occasion le choix volontaire de la comédie romantique, avec une incursion vers le film de danse urbaine, genre ado par excellence (et qui compte tout de même peu de franches réussites), ce qui n’est pas forcément surprenant de la part de celle qui a beaucoup travaillé avec de jeunes interprètes, pas forcément professionnels, pour explorer sous toutes les coutures cet âge dit ingrat. Le schéma emblématique de la romcom met en présence un garçon et une fille, le premier pensant être amoureux d’une autre et se rendant compte au fur et à mesure de ses sentiments pour la “bonne copine” supposée.

Narration délibérément calibrée, donc, à première vue, sauf qu’Azzedine et Lila se tournent autour dans une configuration d’inversion manifeste des attributs habituels des genres : c’est le jeune gars qui est fragile, tandis que la petite nana semble plus décidée et fonceuse. De quoi approfondir le sillon amorcé avec Goût bacon (2016), où le motif de l’attirance homosexuelle au cœur de la cité, particulièrement problématique à assumer, se résolvait grâce à la débrouillardise et la solidarité des protagonistes. Prends garde à toi (2019, photo ci-dessus), fiction mâtinée de documentaire, prenait à son tour à rebours les idées reçues, suivant Marie, une jeune fille pratiquant une activité apparaissant a priori plus masculine dans les esprits – la course camarguaise, au fond de l’arène face aux taureaux – et se heurtait aux préjugés, surtout en vivant une idylle avec une Parisienne de passage.

Dans Fragile, l’atout majeur est la capacité d’empathie de la réalisatrice pour ses personnages, bien aidée par sa petite troupe d’acteurs, véritables ambassadeurs de la dimension de vivier du court métrage sur ce plan-là également… Autour de Yasin Houicha, qui joue “Az”, et de la toujours épatante Oulaya Amamra, qui retrouve Emma Benestan après leur première collaboration sur Belle gueule en 2014, apparaissent ainsi Tiphaine Daviot, révélation des Bigorneaux d’Alice Vial (toujours à voir sur Brefcinema), dans le rôle de la rivale, starlette locale d’une série policière croquée de façon drolatique, mais aussi Bilal Chegrani – déjà présent dans Goût bacon et qui a explosé à la faveur du Chant d’Ahmed de Foued Mansour (également disponible sur notre plateforme actuellement), et l’atypique Raphaël Quenard, l’un des “mauvais garçons” d’Élie Girard.

Si ce passage au long peut sembler parfois léger (sur le mode d’un “Dirty Dancing à l’Algérienne” revendiqué…), il témoigne d’une imparable sincérité, aboutissement possible des ateliers menés par la réalisatrice avec des adolescents, dopé par une lumineuse positivité et une énergie souvent communicative. Kechiche n’est plus seul à filmer la jeunesse sur les plages de Sète et de ses environs.

Filmographie courts métrages :

Toucher l’horizon (film d’école de la Fémis, 2012, 31 minutes)
Le jour où tu partiras (2014, 17 minutes)
Belle gueule (2014, 25 minutes)
Goût bacon (2016, 13 minutes)
Un monde sans bêtes (coréalisé avec Adrien Lecouturier, 2017, 26 minutes)
Prends garde à toi (2019, 42 minutes)
L’amour du risque (2019, 22 minutes)

À voir aussi :

- Belle gueule, actuellement visible sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Slalom de Charlène Favier, autre premier long métrage de 2021 en DVD.