En salles 04/02/2023

Du court au long : les voyages humanistes de Steve Achiepo

Le 15 février sortira en salles Le marchand de sable, premier long métrage signé Steve Achiepo. Récompensé d’un Bayard d’or à Namur en 2022 et présenté dans de nombreux festivals, cet opus fait suite, du côté du réalisateur, à plusieurs courts métrages remarqués.

L’arrivée au long métrage de Steve Achiepo suit la ligne d’un chemin riche, diversifié et cohérent. Enfant de la ville francilienne de Cergy, il a débuté son parcours professionnel dans le secteur de l’immobilier. Une expérience fertile en observation sociétale, qui nourrira l’écriture de son futur long. Il se retrouva en effet plongé au cœur d’un dilemme moral, quand il fut confronté à l’exigence d’une propriétaire âgée de ne louer son appartement qu’à des “non noirs”.

Alors dans le besoin concret de gagner sa vie, il accepta de s’occuper du bien, mais en porta un sentiment de culpabilité pendant des années De là naîtra plus tard le germe d’une fiction sur la question du logement dans l’Hexagone. Entre temps, il se lance dans le cinéma en tant qu’acteur. Il apparaît ainsi, de petits en premiers rôles, dans une série de courts métrages, Waramutseho ! (soit “Bonjour !”) de Kouemo Auguste Bernard (2009), Je viens de Teddy Lussi-Modeste (2009), Kaddish ! d’Émeline Castaneda (2012) ou Tralala d’Alix Lepienne (2015).



Il se tourne aussi vers l’écriture et la réalisation. Après avoir œuvré comme script doctor sur le scénario du long métrage d’animation Un monstre à Paris d’Éric Bergeron (2011), il passe le cap de son propre projet avec le court métrage En équipe (2013, photo ci-dessus), tourné à Cergy-Pontoise. Il est question de masculinité, de virilité, d’adolescence et de relation garçon-fille dans cette chronique d’un gars de seize ans, poussé par ses co-équipiers de foot à draguer une groupie, et au rapport sexuel, pour mieux fanfaronner dans la bande. L’occasion pour Steve Achiepo de nouer des liens créatifs avec son désormais directeur de la photographie attitré Sébastien Goepfert, et avec la monteuse Julie Lena, qu’il retrouve régulièrement.

Pour son ouvrage suivant À la source (2014, photo ci-dessous), il collabore avec Saïd Hamich et Barney Production, qui vont dès lors l’accompagner. À nouveau la jeunesse et le lien inter-sexe, avec cette fois une étudiante de dix-neuf ans en vecteur narratif, et un retour à la ville natale après six mois passés à Paris. Altercations, provocations, effet de groupe et partie de paint-ball virant au règlement de comptes et à l’affranchissement.



Le curseur de l’âge fluctue encore pour Le jour de ton jour (2016), récit d’un deuil remuant pour un enfant de dix ans, amoureux, goulu et persuadé qu’il va mourir, comme son père. De ce passage initiatique naît une acuité qui, héritée des œuvres précédentes, précise et annonce le long futur : la plongée dans l’urbanité périphérique, le vivre ensemble des communautés, et l’émotion contenue, à fleur de peau. La rébellion toujours sous-jacente irrigue les veines de Nos rugissements (2017), où un foyer de banlieue parisienne est le théâtre d’une fugue et des tiraillements intérieurs d’une ado et d’une éducatrice, tout comme son scénario pour Minh Tâm de Vincent Maury (2016) suit le bouleversement d’une trentenaire ayant tiré un trait sur l’amour.

Le terreau humaniste et sociétal se tisse et se déploie de film en film, dans lesquels Steve Achiepo apparaît aussi en coach (En équipe), partenaire de paint-ball (À la source) ou tonton réconfortant (Le jour de ton jour). Un goût du jeu qui le mène aussi à incarner l’extrême, en Youssouf Fofana, bourreau d’Ilan Halimi, dans le long métrage Tout, tout de suite de Richard Berry (2016).



Avec Le marchand de sable, sa première œuvre longue comme auteur, il rassemble ses préoccupations, et sa maîtrise des scènes chorales comme du tourment individuel. Dans ce mix de drame social et de tragédie humaine, les vedettes Moussa Mansaly, Aïssa Maïga, Ophélie Bau et Benoît Magimel brillent d’intensité. C’est un périple sous tension, et revendiqué par son auteur comme le fruit d’un cinéaste noir, offrant à des interprètes noirs des personnages complexes, dans la peinture d’un réel lui-même débordant de complexité. Engagé, tout en n’apportant aucune solution sur le problème du logement, des marchands de sommeil, de l’exil forcé et du déracinement, le cinéaste livre un éclairage puissant sur les affres du monde.

Olivier Pélisson


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