En salles 17/11/2021

Du court au long : les respirations d’Élie Grappe

Sélectionné à la dernière Semaine de la critique, à Cannes, et sortant cette semaine au cinéma, Olga confirme les promesses soulevées par le court métrage Suspendu, d’Élie Grappe, visible en parallèle sur Brefcinema. 

D’un jeune réalisateur il est souvent difficile de saisir la singularité. Comment y parvenir ? L’approche s’avère d’autant plus rude que, malgré l’apparente certitude du geste artistique qu’il propose, un cinéaste en puissance peut produire des films relevant du balbutiement et de la dispersion. D’autres réalisateurs, au contraire, développent une vision apparemment plus fragiles, mais tirent leur motivation d’un regard artistiquement conscients.

Élie Grappe fait partie de cette deuxième catégorie : le chuchotement qu’il formule dissimule un cri. Olga, premier long métrage du cinéaste, porte cette dialectique.


 
C’est peut-être qu’Élie Grappe fait de la fragilité l’axe principal de sa trajectoire artistique. Et cela vient sans doute de sa sensibilité de musicien, ayant pendant de longues années arpenté les couloirs du Conservatoire National de Lyon. La musique exige la canalisation d’une énergie ou d’énergies multiples, notamment lorsqu’il s’agit du chant choral. Il n’est pas fortuit que c’est une chorale justement, qu’Élie Grappe décide de filmer dans l’un des ces premiers courts métrages d’école, Répétition.

Entrer au département Cinéma de l’École Cantonale d’Art de Lausanne signifie donc pour lui poursuivre le développement d’une sensibilité toute musicale, composée de notes et surtout de respirations, qui trouve progressivement sa place dans le domaine cinématographique. Son court métrage de fin d’études réalisé en 2015, Suspendu, ne rompt certainement pas avec sa quête envers les respirations. Il en fait même ici sa matière première, comme un écho lointain au film Sept femmes d’âge différent, que Krzysztof Kieślowski réalisa en 1976.

Élie Grappe filme avant tout un dépassement de soi, et cela passe par l’acharnement d’un danseur tentant de se présenter à un concours alors qu’il est blessé, risquant sa santé au nom de l’effort. La mise en scène, au-delà d’une trame narrative bien ficelée et tragique, se fait en tout point haletante.


 
Olga, récompensé du Prix SACD à la Semaine de la critique en 2021, ne laisse pas non plus sa protagoniste reprendre son souffle : le film raconte un épisode de la vie d’une adolescente de quinze ans, laquelle s’entraîne en tant que gymnaste en vue des Jeux Olympiques.

Comme dans Suspendu, il s’agit de capter la sociabilité parfois cruelle qui s’instaure entre les membres d’un même collectif, d’un même club. Mais dans Olga, le cinéaste intègre deux autres niveaux de réflexion. D’abord, la dimension politique : le film se situe en 2013, c’est-à-dire juste avant les événements du Maïdan qui mèneront à la destitution de l’autoritaire Viktor Ianoukovytch. Cette situation politique bousculée, dont la mère d’Olga est une victime collatérale, pèse sur la vie de l’adolescente.

Le cinéaste introduit une deuxième dimension : le tiraillement culturel. Si le film se situe en Ukraine puis en Suisse, le cinéaste évoque cette béance géographique, cet éloignement par rapport au foyer, l’absence de repères, le mal du pays. Olga entremêle ces trois questions — sport, politique et identité — pour mieux révéler la résistance du personnage, la somme des efforts accomplis et des fragilités ressenties.

On peut dire que le film ne manque pas de souffle, ou plutôt il parvient à rendre compte, au fur et à mesure de la trajectoire de son héroïne ordinaire (interprétée par l’époustouflante Anastasia Budiashkina), et par le remploi judicieux d’archives documentaires, de l’évolution du personnage, de sa confrontation avec une Europe devenue hostile, ici et là. À l’appui d’un travail mené auprès du compositeur Pierre Desprats, l’œuvre émeut par le cri puissant, préparé par une douceur et une lucidité rares, que le film lance contre les formes actuelles d’oppression.

Mathieu Lericq


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- Maxime Roy du court au long : Les héroïques.

- Olga, récompensé à la Semaine de la critique 2021.