En salles 01/02/2022

Du court au long : Anne-Laure Daffis et Léo Marchand en toute liberté

Les voisins de mes voisins sont mes voisins d’Anne-Laure Daffis et Léo Marchand, qui arrivera dans les salles le 2 février, est un long métrage d’animation choral dans lequel se croisent une dizaine de personnages, dont ceux qui ont fait le succès des courts du tandem : l’ogre de La Saint-Festin et le magicien de La vie sans Truc.

En une vingtaine d’années, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand se sont fait connaître avec une œuvre de courts métrages – animés ou en prise de vue réelle, et mêlant parfois les deux – faisant la part belle au droit de citation et au détournement d’images. Dans Les cowboys n’ont pas peur de mourir (2008), les personnages sont dessinés sur des plans issus de westerns italiens tels que le mythique Django de Sergio Corbucci ou 4 de l’apocalypse de Lucio Fulci. Dans Y’a pas que des histoires de Cucu (2016), les auteurs détourent des personnages de films célèbres (dont rien moins que Sissi, interprétée par Romy Schneider) et les incrustent dans d’autres décors pour donner vie à l’histoire qu’un père improvise pour sa fille.

Pas étonnant, donc, que pour son premier long métrage, le duo ait décidé de “recycler” son propre travail, en utilisant deux de ses courts métrages animés : La Saint-Festin, triplement récompensé à Clermont-Ferrand en 2007, et La vie sans Truc réalisé en 2013. Dans le premier, un ogre perd accidentellement ses dents la veille de la grande fête des ogres, durant laquelle il est de tradition de manger des enfants. Dans le second, le magicien Popolo rate son numéro de prestidigitation et fait disparaître pour de vrai les jambes de sa partenaire Amabilé.

Par un astucieux travail d’écriture et de montage alterné, les deux histoires figurent quasi intégralement dans Les voisins de mes voisins sont mes voisins, intégrés à une intrigue plus large qui se déroule dans l’immeuble de l’ogre. C’est notamment là que réapparaissent les jambes d’Amabilé, dont tombe amoureux un vieux monsieur solitaire, tandis qu’un randonneur sur le point de partir en excursion se retrouve coincé dans l’ascenseur en panne. Les différentes histoires s’imbriquent à la perfection pour créer avec humour et tendresse une galerie de portraits hauts en couleurs, servis par une interprétation et des dialogues irrésistibles.

Les deux réalisateurs s’amusent avec les motifs des relations de voisinage, et notamment les propos anodins et un peu lénifiants que l’on échange dans l’escalier. Ils croquent aussi par petites touches une société contemporaine dont le moteur semble être l’absurdité, du “Paul emploie” toujours désert où il faut malgré tout attendre son tour, au serveur vocal de la compagnie de dépannage de l’ascenseur. Dans un tel monde, il n’y a officiellement aucune place pour la magie, comme le pauvre Popolo en fait amèrement l’expérience. Et pourtant, lorsque l’on regarde bien, la fantaisie et l’imagination affluent.

La poésie du propos passe aussi par les choix formels du duo qui, comme dans ses courts, propose un véritable collage de techniques et de sources. Les archives télé se mêlent aux catalogues d’ameublement, la 3D côtoie des séquences réalisées sur un écran d’épingles de 1937 issu du Fonds Alexeïeff-Parker, l’intérieur de la caravane d’Amabilé a été filmé dans un van “Barbie” tandis qu’un canevas en laine sert de décor à l’appartement de Monsieur Demy…

Un aspect artisanal, au meilleur sens du terme, qui fait un peu de Daffis et Marchand les “Michel Gondry” du cinéma d’animation, et leur a permis de réaliser un long métrage sans changer d’échelle par rapport à leurs films précédents. “Un film est un film, court ou long, il doit fonctionner et c’est tout, déclare très simplement Léo Marchand dans le dossier de presse des Voisins. On a l’habitude de penser à ce bon mot de Coluche : “La bonne longueur pour les jambes c’est quand les pieds touchent par terre !”. Il n’y avait aucune raison que l’on modifie en profondeur notre manière de travailler et d’aborder le cinéma. Ça fait vingt ans qu’on fait des films d’une façon absolument libre et on a continué comme ça.”

Marie-Pauline Mollaret

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