En salles 20/05/2021

Autour de Vers la bataille d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Plusieurs fois ajournée, la sortie du premier long métrage d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux sera enfin effective à partir du 26 mai, sous l’étendard de Rezo Films. Ce projet des plus singuliers entraîne vers le Mexique en guerre de 1863, dans les pas d’un photographe joué par Malik Zidi.

Aurélien Vernhes-Lermusiaux, passé par Le Fresnoy, est un cinéaste qui a attiré l’attention des festivals comme celle de Bref depuis de nombreuses années. À travers ses sept courts ou moyens métrages réalisés entre 2006 et 2017, tout d’abord. Par ses forts et souvent audacieux partis pris de mise en scène, ensuite. Sans oublier, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, une persistance à vouloir changer de registre, de tonalité, à surprendre, expérimenter et désorienter éventuellement. Ainsi, la première partie de son parcours de court métragiste, si le mot a un sens, contraste avec la deuxième, avec un vrai et net tournant situé au milieu des années 2010, après que cet auteur rigoureux et exigeant eut consacré un documentaire à Bruno Dumont (Le fracas des pattes de l’araignée, 2012).

Lui-même le revendiquait dans un entretien qu’il nous avait accordé dans Bref 125, paru au printemps 2020 : Poisson (2014, prochainement en ligne sur Brefcinema) avait réellement introduit une autre dimension dans son cinéma, tendance sans doute encore creusée par Les photographes (2015) et Les vies de Lenny Wilson (2017, photo ci-dessous). Des histoires de “nouveau départ” à chaque fois, par ailleurs, ce qui est à nouveau éclatant dans Vers la bataille, où le personnage joué par Malik Zidi, photographe pionnier (à tous les sens du terme : on est dans les années 1860), va se mettre en danger en tant qu’artiste comme en tant qu’être humain dans le Mexique en guerre, suite à l’implication des armées françaises sous Napoléon III (voir d’autres ressources en ligne au sujet de cet épisode historique fort méconnu – comme tant d’autres – aujourd’hui).

Le film d’époque semblait une option originale, pour ne pas dire périlleuse, pour un premier long, surtout après le succès du très pop … Lenny Wilson, mais c’est aussi à mettre à l’actif de ce cinéphile averti d’avoir évité de se borner à une certaine zone de confort et à aller chercher du côté des romans d’aventures et du cinéma de la perte, en milieu hostile et inconnu. L’ombre de Conrad et celle d’Herzog, bien sûr, flottent au-dessus de ce Mexique désolé et presque soumis à une abstraction de regard, le personnage principal chevauchant en vain vers les champs de bataille qu’il aimerait capturer et immortaliser dans son objectif, jusqu’à flirter avec la folie obsessionnelle et un dénouement sans échappatoire. La réflexion sur l’objectivité du regard, du reste, se poursuit après Les photographes et sa tonalité plus riante, parfois même burlesque.

La rigueur de la mise en scène, dans Vers la bataille, prouve que Vernhes-Lermusiaux fait du cinéma, toujours, et non comme d’autres des succédanés de téléfilms. Le langage du cinéma le passionne, c’était déjà évident dans L’inconnu (2006) ou Le rescapé (2010), qui apparaissaient presque comme des exercices d’admiration de maîtres vénérés, Sokourov notamment. Sans même parler du Jour où le fils de Raïner s’est noyé (2011, photo ci-dessous), un plan-séquence sous influence directe de Béla Tarr.

Cette haute – et louable – ambition de cinéma ne s’est nullement tarie à la faveur d’un passage au long métrage ne se laissant exposer à aucune facilité, malgré un budget sans doute trop réduit, et semblant parfois brosser un possible autoportrait d’artiste. Rien d’étonnant de la part de celui qui concluait ainsi, sans une once de présomption, l’entretien évoqué : “Je refuse d’arriver, pour cause de contraintes économiques, à un film qui ne me ressemblerait pas”. C’est aussi là une forme de pureté.

Christophe Chauville

À lire aussi :

- Les vies de Lenny Wilson, nommé aux César en 2019.

- Un autre premier long distribué en mai 2021 : Slalom, de Charlène Favier.