En salles 03/03/2023

5 questions à Béatrice Pollet, réalisatrice de Toi non plus tu n’as rien vu

Le 8 mars sortira le deuxième long métrage de Béatrice Pollet, impressionnant dans son intelligence à se saisir de son sujet central – le déni de grossesse – et mené brillamment par son duo de comédiennes : Maud Wyler et Géraldine Nakache. La réalisatrice a accepté de répondre à quelques questions.

On se souvient de vos courts métrages des années 1990/2000 (Le singe et Qui sommes-nous ?) et d’un premier long distribué en 2012, Le jour de la grenouille : pourquoi une décennie écoulée entre ces deux longs ?

J’ai travaillé très longtemps sur l’écriture de ce film, il m’a fallu approcher des univers que je ne connaissais pas : celui du déni de grossesse, mais aussi la mécanique judiciaire.

Ce thème était donc à l’origine même de votre désir de vous lancer dans ce nouveau film ? Comment avez-vous effectué le travail de recherche au moment de l’écriture du scénario ?

Oui, le déni de grossesse, je m’en suis approchée au départ, parce que je ne comprenais pas comment une femme pouvait accoucher seule, sans avoir senti qu’elle portait un enfant, sans l’avoir jamais envisagé et sans que personne ne l’ait vu. Comment être enceinte sans que cela puisse se voir ? Et plus, je cherchais et rencontrais des médecins, des avocats, et surtout des femmes qui me racontaient leur déni, plus j’étais fascinée.

J’ai passé pas mal de temps dans ces recherches, me demandant si j’allais trouver quelqu’un qui m’expliquerait le pourquoi. Pourquoi fait-on un déni de grossesse ? De ce côté-là, il y a juste des suppositions, mais rien de scientifiquement tangible encore. Il faut arriver à admettre que l’on ne sait pas pourquoi ça arrive, mais puisque ça arrive, que c’est une réalité, qu’il s’agit d’un phénomène identifié, on devrait traiter ces femmes autrement.

Le film démontre de forts partis pris formels : comment se sont-ils dessinés, que vouliez-vous éviter à tout prix en racontant cette histoire ?

Je voulais absolument éviter le pathos, le mélo. Mon idée était que ce film soit sincère, frontal, relativement simple, sans fioriture. Qu’il n’y ait pas de redondance à la mise en scène, que tout soit concentré dans le regard que l’on porte sur Claire et son histoire.

Claire est amenée à chercher en elle-même ce qui s’est vraiment passé pour prouver son innocence. Je voulais que le spectateur la suive, la jauge, qu’il interroge son ressenti face à cette femme à la fois mystérieuse, troublante, mais aussi droite, volontaire, et probablement sincère. Que le doute s’immisce, parfois, que son ressenti fluctue comme il fluctue pour chacun des interlocuteurs au rythme de l’enquête, tant judiciaire qu’intime et que cela maintienne une certaine tension.

J’ai pensé les cadres, le découpage en amont, je souhaitais isoler souvent les visages, et qu’on tente de repérer qui la croit, qui la pense coupable. J’avais en tête des plans de Bergman, dans Le silence ou Persona, mais aussi Bresson. Tous deux avaient une façon de faire vivre un gros plan avec une telle intensité, un tel investissement de leurs comédiens/ modèles.

Je voulais aussi cette lumière laiteuse, blanchâtre au début, qui devient plus directe au retour de Claire chez elle. La complicité de George Lechaptois a été formidable et m’a assurée une vraie liberté. Cette lumière étale, blanche, rejoint sans doute une idée qu’on tente de nous vendre concernant la maternité. Pour moi, elle devait justement contraster avec la violence de ce qui se passe pour Claire, son mari, ses filles ainsi que Sophie, son amie avocate – à l’instar du film de Ronit & Shlomi Elkabetz Le procès de Viviane Amsalem. Avec cette esthétique-là, les personnages sont comme en apesanteur, un peu déréalisés.

Au moment où Claire sort de prison, on a tenté quelque chose de plus direct, de plus marqué, quelque chose qui pèse sur les personnages, qui les dessine plus, mais qui les ancre aussi chacun dans leur espace, dans leur réalité. 

Maud Wyler et Géraldine Nakache viennent de familles de cinéma a priori éloignées, mais leur duo fonctionne parfaitement : pourquoi les avoir choisies, elles ? 

Je voulais travailler avec Maud Wyler, qui a cette faculté incroyable de vous faire ressentir d’infinies nuances et le sous-texte au delà du dialogue. Son visage, sa posture : tout est en elle si vivant, si expressif. On a construit ce personnage en en parlant avant. Nous nous sommes rencontrées deux ans avant le tournage. Cela s’est fait instinctivement. J’avais été très attentive à son travail jusque-là et sur le plateau, on a modelé chaque prise, allant chercher des couleurs différentes, plus d’ambiguïté, plus de noirceur ou, au contraire, le premier degré de la découverte, un sentiment de sincérité, de vérité, de lumière intérieure.

Géraldine, je l’ai rencontrée plus tard, et ça été un choc. On est resté une journée ensemble, à parler du scénario, mais aussi de choses et d’autres, de la vie. J’ai découvert une femme à fleur de peau, à la fois forte et fragile, un mélange d’assurance et de questionnement incessant. Je connaissais son rythme, sa façon de bouger, sa “tchatche” et je voulais que le personnage de Sophie soit un peu comme elle : énergique, toujours dans l’échange. Et qu’elle nous emmène dans son raisonnement, son enquête, qu’on la suive, et qu’elle embarque le film dans son rythme.

Je voulais que transparaisse un peu de son humour, de sa tendresse aussi, au milieu de cette vitalité pétillante qui la caractérise. C’est vrai que toutes deux viennent d’horizons a priori différents, mais la rencontre a très bien fonctionné, à l’écran, comme dans la vie, et cela se sent, je crois.

Avez-vous d’autres projets de films à enchaîner idéalement et avez-vous déjà eu la tentation de repasser par le format court de vos débuts ?

Oui, j’ai deux autres projets qu’il faudrait que j’arrive à concrétiser relativement vite, maintenant, car le temps passe ! Parfois, j’ai la très forte tentation de raconter une histoire courte, pour le plaisir de tourner, pour  retrouver la magie du plateau, et la possibilité de renouer aussi avec un mode plus expérimental, plus “artisanal”. Plus libre, peut-être, aussi.

Après, qu’il soit court ou long, un film, c’est beaucoup de travail… Et le long métrage permet d’approfondir des histoires et des portraits comme ceux de ces deux femmes, et d’être vu par plus de spectateurs d’horizons différents. Enfin, en principe !

Propos recueillis (par mail) par Christophe Chauville
Remerciements à Claire Viroulaud

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