DVD 31/01/2022

Le laboratoire de Marie Losier

Entrez dans le monde étrange et merveilleux de Marie Losier, ainsi que le promet ce coffret DVD édité par Re : voir, éditeur qui ne ressemble décidément à aucun autre. Pas moins de 12 œuvres de la réalisatrice sont ainsi réunies.

“Taxidermisez-moi” : le titre de l’un des courts métrages de Marie Losier pourrait baptiser l’ensemble du coffret DVD que consacrent à son travail les éditions Re :voir, tant il épouse le projet esthétique de la réalisatrice. Embaumer le vivant, le maquiller, lui donner une posture incongrue, lui lustrer le poil ou les plumes pour le garder à tout jamais paré, embelli ; mêler hommes et animaux en une danse aussi majestueuse que funèbre.

Tourné de nuit au musée de la Chasse et de la Nature, Taxidermisez-moi (photo ci-dessous) mêle amis et comparses qui se métamorphosent en bêtes et voisinent avec les animaux empaillés du lieu. Il renvoie, dans une forme plus libre et plus spontanée, au film The Ballad Of Genesis and Lady Jaye (2011, photo de bandeau), geste fou de Genesis P. Orridge : transformer son corps dans un geste d’amour ultime. Dans ce long métrage de 2011, mi-documentaire, mi-performance, la star du rock industriel et leader des Psychic TV use de la chirurgie esthétique pour ressembler autant que possible à la femme de sa vie : Lady Jaye.

Pendant plusieurs années, Marie Losier filme la momification du couple : derrière les bandelettes qui recouvrent leurs visages se devine la volonté de modeler son corps à l’image de son désir pour l’autre, de renaître sous les traits de la personne que l’on aime le plus regarder. Il y est question de miroirs, de représentation, autant de sujets pleinement cinématographiques et artistiques dont la cinéaste joue dans des procédés de mise en abyme. Mais le film tourne aussi autour de l’aporie de posséder l’être aimé, de s’en approcher autant qu’on l’aimerait et de la peur de la mort.

Comme elle le fait souvent, Marie Losier a pour ce film, étalé les sessions de tournages sur plusieurs années, au point de créer, au-delà du film, une amitié profonde entre la cinéaste et son modèle. De cette technique émanent, en marge du projet principal, d’autres œuvres, plus fragmentaires, plus spontanées et ludiques, comme Papal Broken Dance, ce clip collant à la performance d’une chanson de P. Orridge dansant devant la chorégraphie de catcheurs d’opérettes exubérants, avant-goût de l’esthétique de Cassandro the Exotico.

Composé comme un laboratoires de formes, le coffret Re : voir est emblématique de la filmographie de la cinéaste, mixant des œuvres très abouties et d’autres bricolées, mélange de films d’occasion et de commande comme Electric Storm, clip de Dorit Chrysler qui donne à entendre la sonorité troublante du thérémine dans l’accélérateur de particules du CERN, que la cinéaste filme comme le décor futuriste de science-fiction, capsule spatiale aux parois nues, éclairée de lumières rougeoyantes. Parfaitement emblématique des obsessions de la cinéaste, la salle d’autopsie de Which is Witch ? rassemble et observe toutes sortes de corps, les découpe et les dissèque, version gore de l’esquisse Draw Me Now, tourné dans un atelier de dessin où les modèles aux physiques atypiques se succèdent devant les chevalets de dizaines de peintres rassemblés.

Which is Witch ?, dans la même veine d’un geste très spontané, met en scène la dissection du musicien Felix Kubin par des sorcières grimaçantes et ricanantes qui dansent frénétiquement sur sa musique sous une neige artificielle. Extraire les organes des corps, les livrer à des mises en scènes macabres fait partie des obsessions de Marie Losier, de son envie de jouer à faire comme si, de son désir de rire de la mort. Ce jeu avec les formes, le gore et un féminisme anthropophage, prolonge la séquence d’autopsie cauchemardesque et expressionniste de Felix in Wonderland (photo ci-dessus). Dans ce portrait en action du musicien allemand Felix Kubin, Marie Losier retrouve chez son modèle son propre goût de l’hétéroclite et de l’expérimental. Faire feu de tout bois, mêler vie intime et art, voilà qui rassemble les deux artistes, qui au cours des nombreuses sessions de tournage, fabriquent davantage qu’un film : un compagnonnage, une complicité artistique qui devient une amitié. Quelle meilleur prétexte, finalement, de faire des films que pour aimer son prochain ?

Raphaëlle Pireyre
 

Marie Losier : 12 films en HD, en coffret Blu-ray et DVD + livret d’interview et de notes, éditions Re: voir, 29,90 euros.
Paru le 9 décembre 2021.

À lire aussi :

- Sur un autre film de Marie Losier : Bim, bam, boom, las luchas morenas.

- Felix in Wonderland, primé au Festival de Brive en 2020.