Cahier critique 19/06/2019

“Fauve” de Jérémy Comte

Canadian Screen Award 2019 du meilleur court métrage de fiction.

Tourné au creux d’une immense mine à ciel ouvert, ce court métrage québécois campe l’enfance dans ce qu’elle a de plus candide et innocent, tout en embrassant la cruauté qui teinte les premières années et affecte inéluctablement le reste de la vie. Les protagonistes, deux garçons d’une douzaine d’années, se trouvent aux premières loges des métamorphoses de l’âge. Les interprètes non professionnels, Félix Grenier et Alexandre Perreault, sélectionnés pour leur authenticité et leur chimie remarquables, dégagent un savant mélange entre pudeur et audace. La narration installe subtilement une rivalité masculine dans leurs rapports, une compétition qui donne l’avantage à celui qui se jouera de l’autre en premier. Ils ne cessent de tester leurs limites : l’un jette des cailloux sur l’autre, qui, à son tour, réplique à coups de blagues et de bousculades. Une tension s’immisce peu à peu dans leurs échanges et joue avec la fébrilité du spectateur qui se retrouve sur le fil du rasoir, prêt à entrevoir une situation inoffensive s’enliser vers une issue tragique. 

La caméra à l’épaule commence par filmer les enfants à leur hauteur, donnant le champ libre à toute la légèreté allouée à l’enfance. Elle instaure un climat de confiance qui se fige soudainement, en plan fixe, laissant les jeunes perdus dans ce décor trop étendu, engloutis par une conjoncture qui les dépasse. La détresse, révélatrice d’une perte de contrôle dont aucun ne peut s’extirper, porte écho dans le vent et cantonne ainsi le spectateur à son impuissance. Les éléments autour d’eux les écrasent, les laissant en proie à leur terrain de jeu qui révèle toute sa dangerosité.

La fierté et le goût du défi mis en berne, c’est dans un décor qui n’est pas sans rappeler Gerry de Gus Van Sant, que l'un des garçons arpente les roches qui se ressemblent toutes, errant et s’épuisant dans l’immensité d’un désert n’indiquant aucune direction. Dans ce chaos, le passage d'un camion de chantier intervient comme le témoignage de la relation ambivalente que les enfants entretiennent avec les adultes, ils s’en éloignent au départ pour finalement cruellement en avoir besoin. Pour autant, le film ne désigne pas de héros ou d’antagoniste, ce sont simplement des enfants qui touchent de près à un monde sans compromis.

L’apprentissage de la vie, parfois rude et brutal tel qu’il est présenté ici, dresse un portrait plus sombre du “teen movie”, habituellement caractérisé par son lot de bêtises et de mésaventures bénignes. Malgré le ton grave, l’onirisme manifesté tout au long du film vient adoucir le tableau. Un aspect surréel, mystique, se dégage de la nature, enveloppant les personnages de son aura et appelant à l’apaisement. À travers le symbole du renard, semblable à une prémonition ou encore à une réincarnation, le rêve perdure au statut d’une innocence sacrifiée. “T’aurais dû m’écouter” résonne plus que jamais comme un avertissement et une responsabilité, symbole d’une adolescence mouvante dont les protagonistes découvrent les tenants et les aboutissants.

Léa Drevon

Scénario, réalisation et montage : Jérémy Comte. Image : Olivier Gossot. Son : Laurent Ouellette et Jean-David Perron. Musique originale : Brian D’Oliveira (La Hacienda). Interprétation : Félix Grenier, Alexandre Perreault et Louise Bombardier. Production : Achromatic Media inc. et Midi La Nuit.