Livres et revues 26/12/2016

Pierre Rissient, Mister Everywhere

Éminence grise du cinéma d’auteur mondial, infatigable découvreur de talents, Pierre Rissient s’est raconté à Samuel Blumenfeld.

Quand on lui demandait pourquoi il ne mentait jamais, Fritz Lang répondait qu'il était plus prudent de ne pas prendre le risque de ne pas se souvenir de ses mensonges. C'est une des nombreuses anecdotes – ô combien révélatrice au regard de l’œuvre du cinéaste allemand qu'il fréquenta longuement – qui émaillent la lecture des entretiens de Pierre Rissient, homme de cinéma aux multiples casquettes, avec le journaliste et critique Samuel Blumenfeld.

Tour à tour jeune cinéphile MacMahonien, attaché de presse (dans les années 60, avec Bertrand Tavernier), distributeur, cinéaste dilettante – une ressortie de Cinq et la peau (1982) serait bienvenue –, sélectionneur pour le festival de Cannes (où il fit venir L'épouvantail de Jerry Schatzberg ou Apocalypse Now de Francis Ford Coppola) ou encore producteur pour Ciby 2000 ou Pathé (La leçon de piano de Jane Campion, L'Anglaise et le Duc d'Éric Rohmer, Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami), Pierre Rissient fut un touche-à-tout passionné, un découvreur de chefs-d’œuvre (c'est grâce à lui que l'on put finalement voir A Touch of Zen de King Hu à Cannes, en dépit de son échec commercial à Taiwan quelques années plus tôt), un inlassable explorateur de cinématographies méconnues (le cinéma philippin et la découverte de Lino Brocka, l'Asie dès les années 70), tout autant qu'un amateur passionné de films muets oubliés.

Une longue vie de spectateur épris de classicisme et une vie d'acteur du septième art, déterminant mais discret, qu'il raconte avec précision et lucidité (quand il explique par exemple avoir manqué de l'abnégation qui lui aurait permis de devenir à Hollywood un vrai producteur exécutif). C'est en cela d'ailleurs que l'humain, les rencontres, admirations et amitiés forgent la ligne directrice d'un livre qui, dans ses replis, parle tout aussi précisément de mise en scène, de positionnement de la caméra, de lumière, de textures et de pellicule, et qui reçut à juste titre le Prix Transfuge du meilleur livre de cinéma de l'année 2016.

De son soutien indéfectible à l'ami Clint Eastwood (qui signe une des deux préfaces) à ses évocations de Joseph Losey (qu'il admira puis qui le déçut tant artistiquement qu'humainement) en passant par sa passion indéfectible pour Raoul Walsh – dont on apprend, raccourci sidérant, que le cinéaste qui jouait l'assassin de Lincoln dans Naissance d'une nation de Griffith fut celui même qui lui annonça, des États-Unis, en direct au téléphone, l'assassinat de JFK – c'est, plus qu'une vie de cinéma, bel et bien une vie du Cinéma que ces entretiens passionnants nous racontent.

Stéphane Kahn

Pierre Rissient, Mister Everywhere, dialogue avec Samuel Blumenfeld, Institut Lumière/Actes Sud, 2016, 23 euros.