Livres et revues 07/12/2016

L’âge d’or du cinéma japonais

Ce dictionnaire, concocté par Pascal-Alex Vincent, introduction idéale à l’art du cinéma japonais, comporte six DVD de classiques incontournables.

 

Alors que, dans les années 1950, les studios japonais produisaient jusqu’à quatre cents films par an, ce ne sont que quelques noms qui, longtemps, nous sont parvenus tels Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Yasujirô Ozu, Mikio Naruse. La situation a largement évolué et, à travers rétrospectives, hommages, sorties en salles, éditions DVD, nous connaissons un peu mieux ce que ce coffret appelle les cinéastes de l’âge d’or du cinéma japonais (1935-1975), qu’il recense sous la forme d’un dictionnaire.

En même temps, il suffit de l’ouvrir pour mesurer ce qu’il nous reste à découvrir et auquel un certain nombre d’amateurs et fins connaisseurs du cinéma japonais, réunis par Pascal-Alex Vincent, nous initient. D’Adachi Masao, pionnier du cinéma expérimental, à Yuasa Noriaki, maître d’œuvre de plusieurs productions de série B mettant en scène un monstre, Gamera, censé rivaliser avec le succès des studios Tôhô, Godzilla, ce sont plus de cent cinéastes qui sont évoqués d’une plume à la fois précise et chaleureuse.

On aimerait, par exemple, connaître l’oeuvre d’Inagaki Hiroshi, qui, avec plus d’une centaine de films réalisés entre 1928 et 1970, figure au Panthéon du cinéma au Japon, mais demeure “un trésor bien gardé du cinéma japonais”, ou celle de Nomura Yoshitarô “grand spécialiste du polar” à la filmographie non moins impressionnante.

Le livre salue le travail de festivals et de la Cinémathèque française (une grande rétrospective en 1984), qui ont contribué à la découverte de cinéastes comme Kinoshita Keisuke, “l’autre trésor de la Shôchiku, aux côtés d’Ozu” (Locarno 1986), ou Katô Tai, aux films de yakusas expressifs (Locarno 1997, puis Cinémathèque), neveu de Yamanaka Sadao, grand rénovateur du jidai-geki, disparu prématurément en 1938 pendant la guerre sino-japonaise.

Même si certains noms sont arrivés à notre connaissance par l’entremise d’éditions DVD, comme Ichikawa Kon, Kudô Eiichi, Tomu Uchida, on prend ici la mesure de leur filmographie.

Aucun genre (cinéma populaire, films de sabre), aucun format ne sont oubliés, ni le court métrage (Kanai Katsu, “indépendant parmi les indépendants, il est l’auteur d’une poignée de films singuliers, marqués par un onirisme débridé”), ni l’animation (le pionnier prolixe Ôfuji Noburô ou le créateur de mangas, Osamu Tezuka, qui réalisa le premier long métrage d’animation japonais en couleurs, Le serpent blanc, 1958), ni le documentaire (Hara Kazuo, par exemple, qui, à vingt-six ans, tourne Goodbye CP, un film à propos d’un groupe de personnes souffrant de paralysie cérébrale et, plus tard, un essai à la frontière du journal filmé : Mon éros très privé, chanson d’amour 1974).

De ce monde essentiellement masculin, émerge au moins une réalisatrice, Tanaka Kinuyo. Première star du cinéma japonais (elle a joué dans deux cent cinquante films environ dont beaucoup signés Kenji Mizoguchi, Yasujirô Ozu, Mikio Naruse), elle fut la deuxième réalisatrice de l’Empire du soleil levant (après Tazuko Sakane, à la carrière plus modeste) et signa six films entre 1953 et 1962.

Une autre star, Toshirô Mifune, accepta de réaliser un unique film et on lira le touchant témoignage de Nogami Teruyo à propos de cette expérience sans lendemain et pourtant un gros succès commercial ; L’héritage des 500 000 (1963) repose sur l’histoire d’un trésor de guerre de 700 millions de pièces d’or envoyé du Japon aux Philippines sous occupation japonaise et caché dans des collines par les militaires japonais.

Cette immersion dans l’âge d’or du cinéma japonais est agrémentée de six DVD de classiques : Contes des chrysanthèmes tardifs, de Kenji Mizoguchi (1939), Je ne regrette rien de ma jeunesse, d’Akira Kurosawa, Voyage à Tokyo, d’Yasujiro Ozu, Harakiri, de Masaki Kobayashi, Contes cruels de la jeunesse (notre photo), de Nagisa Oshima et, inédit en DVD, Une femme dans la tourmente, mélodrame de Mikio Naruse, dans lequel une femme sacrifie son bonheur au nom des principes de fidélité et d’honnêteté qui guident son existence.

On ne saurait rêver meilleure introduction à l’art du cinéma japonais.

Jacques Kermabon

 

Pascal-Alex Vincent (dir.), L’âge d’or du cinéma japonais, 1935-1975, coffret livre/DVD, Carlotta, 2016, 69,99 euros.