Livres et revues 07/12/2016

De la naissance du cinéma kabyle au cinéma amazigh

Longtemps occultées par le pouvoir central algérien, la culture kabyle et sa langue amazighe n’apparaissent difficilement qu’au cours des années 1990 sur les écrans. Ce livre en restitue l’histoire.

Frédérique Devaux, cinéaste lettriste à l’origine, se tourne au début des années 2000 vers une veine plus autobiographique qui interroge son passé de Franco-berbère à travers une série de films expérimentaux (K 1 à 8, 2001-2008) suivi d’un documentaire (Entre deux rives, voir Bref n°64). Ces films marquent un tournant dans sa vie et son engagement culturel. Aujourd’hui, l’auteure qui adjoint à son nom usuel – Frédérique Devaux – celui du père qu’elle n’a pas connue, Yahi, parachève par un travail rigoureux d’analyse et de repérage des racines du cinéma kabyle, son travail de mémoire et d’histoire personnelle tout en demeurant dans la sphère strictement pédagogique.

Longtemps occultées par le pouvoir central algérien, la culture kabyle et sa langue amazighe n’apparaissent difficilement qu’au cours des années 1990 sur les écrans. Trois longs métrages (sortis en France) bâtissent le corpus multiforme de l’ouvrage : La montagne de Baya (Azzedine Meddour, 1997), La colline oubliée (Abderrahmane Bougermouh, 1996) et Machaho (Belkacem Hadjadj, 1996). Ces films sont ancrés dans des périodes charnières de l’histoire de la région, respectivement les années 1860 (la révolte contre les colons français), la Seconde Guerre mondiale ; Machaho se veut, lui, intemporel afin de développer coutumes et rites ancestraux.

Plusieurs analyses des films se recoupent et se complètent à travers de multiples mises en abyme. Avant de rentrer une première fois dans le vif du sujet (les films), Devaux nous offre une forme d’abécédaire social, culturel, politique de la culture berbère, de son identité, courant de l’époque coloniale à aujourd’hui, de la vision orientaliste de l’occupant européen à la mise sous le boisseau par le gouvernement central algérien, de la survivance des croyances rituelles conjuguées à l’Islam : “Le voisinage de ces croyances avec la religion musulmane est très explicite dans les trois films”, (p. 86). Comme toutes les œuvres pionnières, comme tous les premiers films d’une nation ou d’un groupe, ceux analysés ici développent, à travers des conflits d’intérêts ou sentimentaux, une volonté d’opérer une synthèse de la culture dans laquelle ils s’inscrivent et qu’ils tentent de transmettre. “Chacun des trois films dit le culte voué par le Kabyle à sa terre, à ses traditions, sa culture. Ils donnent à voir, selon différents registres, la difficulté des villageois à s’adapter aux tourments de l’Histoire”, (p. 81). La culture kabyle est essentiellement rurale, orale, traditionnelle. Après une première appréhension des films, tous les référents culturels, sociopolitiques, cinématographiques dans lesquels baignent les cinéastes sont décortiqués.

Enfin, ces films prennent acte de la reconnaissance progressive de la culture berbère en Algérie (et au-delà) : en 1999 est créé le Festival du film amazigh alors qu’une modification de la constitution accorde au berbère le statut de langue nationale, l’arabe restant langue officielle et nationale.

De la naissance du cinéma kabyle au cinéma amazigh est le premier ouvrage qui énonce les prémices d’une possible cinématographie berbère. Son auteure, enseignante et cinéaste, a convoqué toutes ses connaissances de la culture locale qu’elle s’est appropriée lors de ses nombreux voyages ; elle les a conjuguées à son encyclopédique savoir sur l’analyse des films. Ou comment la culture berbère est appréhendée sous l’angle de son cinéma naissant.

Raphaël Bassan

 

Frédérique Devaux Yahi, De la naissance du cinéma kabyle au cinéma amazigh, L’Harmattan, Collection Images plurielles, 2016, 26 euros.