Festivals 07/03/2017

Les 20 ans des Rencontres Traverse Vidéo

Le festival d’art vidéo et de cinéma expérimental de Toulouse existe maintenant depuis 1997. Les Rencontres ont accueilli jusqu’à présent plus de 2650 artistes, près de 2300 vidéos ont été projetées et 670 installations mises en place. Simone Dompeyre a gardé en mémoire ces riches années en créant un fonds d’archives.

Le festival d’art vidéo et de cinéma expérimental de Toulouse existe maintenant depuis 1997. Ceci grâce à la persévérance et à l’engouement passionné de sa fondatrice et directrice artistique Simone Dompeyre, qui tient par cet événement, non seulement à montrer la diversité de la scène contemporaine, mais aussi à pérenniser et défendre son existence. On sait en effet que le cinéma expérimental, recherchant des formes autres que celle de la narration plus classique et prenant son support technique comme élément même de l’oeuvre, reste souvent isolé du circuit cinématographique traditionnel.

Cette année, des discussions entre les artistes et le public seront mises en place, notamment dans les écoles, pour transmettre aux jeunes les façons d’appréhender ces formes artistiques mal connues. Certaines vidéos et installations seront projetées au milieu de la ville, sur les murs des immeubles, offertes à tous les regards.

Cette édition anniversaire revient sur ces vingt ans d’art expérimental, en reprenant des œuvres importantes sélectionnées par le passé et les mêlant aux nouvelles créations, reçues par appel à projet – des vidéos mais aussi des photographies, des performances et des installations. Le spectateur pourra ainsi avoir accès à 270 oeuvres d’artistes venus de tous horizons (France, Allemagne, Ukraine, Russie, Etats-Unis, Iran…) présentées du 8 au 12 mars dans différents lieux culturels toulousains, tels que la Cinémathèque, le Goethe Institut, le musée d’art moderne ou encore le Musée des Augustins. Les expositions de photographies et les installations seront visibles jusqu’au 31 mars.

 

Le mode subjonctif du cinématographique ou l’expérimental vidéo, par Simone Dompeyre

Wandering Womb, Anastasia Ferguson, 2015, Canada, 4 minutes.

Quand le faire-vidéo s’empare de films déjà tournés, quand il entraîne ce matériau footage dans son flux, son champ d’énergie, sa disponibilité et le rend corps instable, transformable et ainsi fait émaner le latent de l’image assagie par la narration réglée. Quand il détourne et se détourne ainsi du mode indicatif du cinéma illusionniste.

Wandering womb pratique ce détournement en affichant son propos, par le rappel titrologique à ce préjugé ancestral et médical qui, depuis les textes médicaux de l’Ancienne Grèce, explique de nombreuses pathologies féminines par un « utérus mouvant ». Anastasia Ferguson s’empare d’un film Orgueil et Préjugé (Pride and Prejudice, Joe Wright, 2005) où nobles et nobliaux s’enferrent dans des règles de vie et matrimoniales aptes à enfermer plus qu’à épanouir. En l’occurrence, dans l’Angleterre de la fin du XVIIIème siècle, les Denett aux cinq jeunes filles cherchent à les marier / loger au plus riche et titré… La mère se rend malade d’un refus de celle qui a décidé de ne pas suivre un tel diktat.

4 minutes condensent la quête du fiancé ou de l’amour, l’attente, le refus, la déception et le système social de cet itinéraire : le château, le bal, le salon, le défilé militaire, la chambre ; 4 minutes portraiturent la jeune désobéissante, l’Adonis au premier abord récalcitrant, la mère éplorée, la fille en pleurs, le doigt touché… la petite fleur offerte et les cris.

Cela débute en travelling latéral élogieux pour le château de contes, encadré de la carte postale d’une vaste salle à manger, style porcelaine Wedgwood où chacun se tient sur le bord de son fauteuil de velours canonique, où chacune se lève à l’unisson pour un visiteur apprécié, mais le système harmonique est d’emblée perturbé. Tel visage s’anime sur ambiance arrêtée, certains gestes se meuvent dans l’immobilité régnante.

L’errance annoncée / wandering met en branle la déconstruction du glamour affiché, d’abord en mêlant deux registres temporels en un même champ : le calme subit des mouvements internes d’un visage ou inversement le mouvement du corps s’alanguit, l’avancée au bal se prolonge. Sous le tableau d’une société respectable sourd le désir plus précis, sous l’entrée en un lieu se distinguent les motivations diverses et inavouables pour la plupart, de chacun.

La musique emprunte au film de genre, le crescendo gagne l’anxiogène, le murmure se dramatise selon la défiguration progressive de l’image.

L’œil, la bouche mais aussi le doigt féminin qui se tend en approche, ou le masculin qui se crispe sont des signes privilégiés selon un montage partitionnel faisant de ces fragments du corps, des motifs réitérés… mais ils sont travaillés, triturés. Ils se télescopent en montage court, au profit du cri de la mère au lit, de la jeune fille en divers lieux. Le motif / le plan tournoie sur lui, en écho à la balançoire dans laquelle s’est « empêtrée » la jeune fille.

Plus liés à l’acmé sonore, ces motifs perdent en iconicité, passant des premiers espaces sages en plan d’ensemble au très gros plan – au très, très, très gros plan puisque le grain déborde la reconnaissance de l’élément comme le sombre ou le bleuté l’occultent.  Ce bleuté d’abord s’y glisse en alterné avec la connotation d’un visage venu d’ailleurs avant de faire disparaître les couleurs de porcelaine de l’incipit.

La variation refuse un quelconque lyrisme dédié à l’actrice connue - Keira Knightley- elle ne décrit pas son jeu d’amoureuse ni de jeune femme libre avant l’heure / l’époque ; elle explicite, plan faisant, l’idéologie sous-jacente qui accuse comme responsables des dérèglements sociaux, les dérèglements hormonaux ; elle explicite la vitalité de leur excès en rire ou en pleurs contre la morbidité du prêt à penser.

Elle porte aussi à nu le médium qui dans ses changements de matière sait garder sa plasticité, sait revenir à son fondement d’énergie / libido en mouvement.

 

The movie vanishes, France Dubois, 2009, France, 4 minutes.

Le film disparaît est, tout à la fois, mode d'emploi, avertissement, indice de la teneur de cet exercice de réminiscence et temporel. Ses 4 minutes de condensation s’emparent d’Une femme disparaît d’Alfred Hitchcock. Elles savent renverser le processus souvent enclenché dans l’usage du footage. En effet, en 1992, 24 hours psycho, l’installation de Douglas Gordon, dilatait en 24 heures, Psychose du même réalisateur, en réduisant à 2 images / seconde les 24 du mouvement du cinéma.

France Dubois, dans la surimpression provoquée par l’accélération du passage, loin de dévoiler comme ce ralenti extrême l’entre-image, produit le flou qui garde la trace plus que l’icône. Pourtant çà et là, un visage se démarque, une silhouette se reconnaît, un geste se dessine, un lieu s’impose ouvrant le souvenir du film réalisé en 1938, alors que l’Europe allait sombrer dans le fascisme et la guerre et que se dévoilaient sous le calme d’inquiétantes prémices. Une jeune femme, métonymie de l’éveil parmi les turpitudes, et prénommée Iris comme l’annonciatrice de la mythologie grecque, recherche Miss Froy. Alors qu’elles partageaient le compartiment du train de retour, tous les autres voyageurs démentent l’existence même de cette gouvernante âgée avec laquelle Iris avait sympathisé, cependant leur visage froid portent autant d’indices de secret malveillant. Par ailleurs, au départ, Iris inaugurait les signes de l’étrange : assommée par la chute étrange d’un pot de fleurs, elle vit les visages de ses amies se perturber.

The movie vanishes adopte ce registre ; au-delà de sa musique signal de suspense, le film lance un jeu de piste, où parfois surgissent tel visage, tel geste : Iris et Gilbert - jeune musicien qui complète le couple canonique hitchcockien, le seul à croire ce que dit la jeune femme - une nonne au regard perçant, des médecins inhospitaliers. Les deux disparitions se fondent sur la perturbation des repères, sur l’empêchement de la perception.Un signe sur la fenêtre du wagon atteste de la réelle existence de Miss Froy, des signes évanescents de plans attestent de la réelle existence du film au delà de l’histoire, son fondement même ; tous deux réclament et réveillent le travail de la mémoire.

 

Le bateau de Thésée, Erwan Soumhi, 2010, France, 3 minutes.

Dans la brièveté d’un unique plan fixe, un jeune homme torse nu, sans autre mouvement que celui de ses bras qui maquillent tête et corps. Mais le contrepoint opère puisqu’un déroulant revient à la Grèce et à sa mythologie. Pas pour raconter les étapes de Thésée, sa ruse pour répondre aux questions concernant sa filiation, son abandon d’Ariane qui l’aida à tuer le minotaure pour la pâture duquel la Grèce devait un tribut de sept jeunes gens et de sept jeunes filles tous les neuf ans, ni même son oubli de changer la voile de son navire qui induisit son père Egée à se jeter dans la mer désormais de son nom ; le récit est réduit en une phrase au conditionnel rassemblant Thésée et le Minotaure. Ce qui guide Erwan Souhmi est porté par le titre de cet opus : Le bateau de Thésée, à savoir l’aporie dont l’artiste donne la paternité à Plutarque et qui débat sur la réalité d’un objet - en l’occurrence ce navire - usé par le temps et dont on remplace, dans le temps, élément après élément.

Désormais “le bateau de Thésée” invite à penser ; ce syntagme n’a plus lien avec de vraies planches mais avec une expérience de pensée d’abord antique, avant sa reprise par Leibniz lorsqu’il philosopha sur l'identité et la persistance à travers le temps, du Même et de l'Autre. Le texte en continu revient à l’exemple canonique, le navire de Thésée qui exhibé, durant des siècles, par les Athéniens reconnaissants, subit de nombreuses réparations et changements de planches usées et pourries. Il y revient pour, en apologue, tirer leçon sur la permanence ou l’impermanence de l’être, sur la question de l’intégrité de l’homme comme de l’image que nous (nous) en faisons. Des pixels dérangent l’icone corporel ; ils doublent la perturbation apportée par le recouvrement en ocre claire du corps. Le contour n’est plus – contrairement à la forme du bateau. Des discordances avec le corps mais aussi avec son image obligent à s’inquiéter sur l’objet vu. L’identité viendrait de la correction immédiate du spectateur ; la notion d’identité servirait la tranquillité de la conscience qui y lit que reste UN sous les distorsions.

Le bateau de ThéséeLa vidéo recouvre, elle aussi, des strates, au-delà de la mythologie, au-delà de la philosophie, elle inclut l’histoire des arts dont elle relève. Puisqu’elle fait implicitement signe au projet de Bruce Nauman, les Art Make-up, quatre films 16mm, de dix minutes chacun, réalisés entre 1967 et 1968 et qu’il aurait voulu voir projetés simultanément au Musée d’Art Contemporain de San-Francisco. Cette œuvre pensée pour l’exposition en salle carrée n’est visible qu’en projection voire diffusion vidéo avec le leurre du son de projecteur cinéma - voire en fragment et diversement compressée sur le réseau.... et ce sont ces / ses traces qui sont la matrice de cette vidéo : le jeune homme qui peint son buste est Nauman, qui exécuta ainsi diverses “performances” qu’il qualifiait de représentations, devant sa caméra.