Festivals 29/05/2017

La réalité virtuelle entre les mains d’Iñarritu

Une des expériences les plus fortes de cette 70e édition du Festival de Cannes était “Carne y Arena”, un court métrage de sept minutes en réalité virtuelle, signé Alejandro G. Iñarritu.

Pour le découvrir, il fallait obtenir un rendez-vous à la Gare maritime de Cannes où, de là, une limousine emmenait, toutes les demi-heures, trois personnes dans un endroit qui se révélait être un hangar dans l’aéroport de Cannes-Mandelieu. Une fois arrivé, on comprend l’impossibilité de trouver, aux alentours de la Croisette, un tel espace pour accueillir cette installation.

Dans un cartel liminaire, Iñarritu explique : “Tout au long de la réalisation de ce projet, j’ai eu le privilège de rencontrer et d’interviewer de nombreux immigrants et réfugiés arrivant du Mexique et d’Amérique centrale. (…) En adaptant les événements que les uns et les autres de ces migrants ont pu vivre en traversant la frontière, et en y ajoutant des détails spécifiques qu’ils ont pu me confier, j’ai écrit, imaginé et mis en scène, les incluant tous dans un espace de narrations multiples, dans ce que l’on pourrait appeler une ethnographie semi-romancée.

L’espace où, chacun à son tour, on pénètre, se situe derrière une partie du vrai mur, prélevé à la frontière de Naco en Arizona, remplacé récemment par un mur en béton. Il a été fait à partir de matériaux recyclés utilisés pendant la guerre du Vietnam pour l’atterrissage des hélicoptères. 

Une fois le sas franchi, on se retrouve pieds nus au milieu d’une vaste étendue de sable. Ce n’est qu’une fois harnaché d’un sac à dos, d’un casque audio et d’un autre de réalité virtuelle que l’expérience peut commencer. On se retrouve au beau milieu d’une étendue assez désertique à l’aube, un souffle de vent accentue le sentiment d’espace, on entend des migrants arriver du lointain. Il est préférable de bouger pour s’insérer au plus près des objets, que notre présence fantomatique traverse sans heurt, et des personnages, dans lesquels on peut même se mouler, pénétrer à l’intérieur de leurs corps et voir leurs organes palpiter. Irruption de 4X4, hélicoptère, violence des projecteurs sur la scène, la police des frontières opère une intervention musclée et, selon la place qu’on se choisit, on se retrouve au cœur ou à proximité des événements, du côté des émigrants ou de celui de la police, avec le pouvoir d’aller de l’un à l’autre.

Saisissant de vérité, le film prend aussi le temps d’un moment plus plastique, quand, comme moulé dans une table de bois, émerge la figuration de souvenirs.

Le réalisme des situations, la qualité de l’image et de la mise en scène nous font sortir de ce moment passablement ébranlé – nous ne sommes pas prêt d’oublier cette immersion dans cet univers de cris et de violence – et rêveur aussi par l’importance des moyens déployés pour un spectacle somme toute individuel – il n’est, de fait, pas deux spectateurs qui auront partagé exactement la même expérience.

Au sortir de Carne y Arena, nous traversons un couloir où nous attendent les portraits des immigrants qui ont participé au projet. Sur leur image, sur support numérique, sont inscrits leurs propos, le récit de ce qu’ils ont vécu en tentant de franchir la frontière. Car cette installation se veut aussi un témoignage. Dans le feu de l’action, on aurait pu l’oublier.

Jacques Kermabon

Prochaine étape de Carne y Arena : la Fondation Prada, coproducteur de l’installation, à Milan, du 7 juin au 15 janvier 2018, puis le Musée Lacma à Los Angeles, au Mexique ensuite.