Festivals 29/05/2017

Cannes 2017 : une Cinéfondation enthousiasmante

Alors que “Paul est là” de Valentina Maurel (Belgique, INSAS) a reçu le Grand prix de la Cinéfondation, un constat s’est imposé cette année : en charge de la programmation, Dimitra Karya a fait fort ; non seulement l’édition 2017 a su allier qualité, diversité et audace, mais elle s’est en plus révélée exceptionnelle, l’une des plus amples, des plus riches, des plus passionnantes vues depuis longtemps.

Parmi les seize films venus des écoles de cinéma du monde entier, on pouvait notamment découvrir Wild Horses de Rory Stewart (Royaume-Uni, National Film and Television School, photo ci-contre). Ce film suit le quotidien d’une jeune ado atteinte de sclérose qui consume ses journées entre des cours de littérature chapeautés par un professeur plus occupé par son ego que par son élève et des longues siestes à rêver d’un beau cheval blanc flottant dans les airs. Vivre enfermée, voilà pour le tableau pas vraiment très gai. Et pourtant Wild Horses détonne par son virage à 100 % dans le fantastique de conte de fée, par sa réconciliation finale familiale équilibrée et surtout par ses contours de fable jamais, morale mais oh combien comique et salutaire.

Venu du Japon, un pays où l’expression du “moi”ou du “je” est plutôt inhabituelle (pour ne pas dire mal vue), le teen movie lyrique Tokeru (Japon, Toho Gakuen Film Techniques Training College, photo ci-contre) d’Aya Igashi méritait le détour. Dans ce film, une adolescente se jette dans une rivière, tous les jours lorsqu’elle rentre du lycée. Pourquoi / Pour quoi ? Attraper des poissons ? S’assurer de la validité du dicton grec ou bien encore sortir du mauvais rêve qu’elle vit au quotidien ? Tout cela à la fois. Réalisé 2015 (présenté deux ans après sa réalisation), ce film n’est pas sans évoquer le long métrage Oh Lucy (en sélection cette année à la Semaine de la critique) dans lequel (entre autres choses) la réalisatrice Atsuko Hirayanagi stigmatise la société nipponne et livre un portrait vibrant et flamboyant de son personnage marginal. Les deux films partagent une même empathie, une même sympathie communicatrice pour la marge. On sort de Tokeru ivre et mélancolique avec le désir, un peu comme après avoir écouté une chanson rock guimauve, de réécouter ça pour pleurer-danser-crier, bref un désir de communier.

                                
                               Heyvan de Bahram et Bahman Ark (Deuxième prix)                                                                   Toward the Sun de Wang Yi-Ling

Le cinéma ne cesse de nous tendre la main. Espérerons aux films sélectionnés à la Cinéfondation de ne pas le faire inutilement, souhaitons-leur de circuler dans les festivals ou sur les chaînes câblées. On pense notamment à la performance fantastique anthropomorphique de Heyvan de Bahram et Bahman Ark (Iran, Iranian National School of Cinema), au musical et expérimental Vazio do lado de fora d’Eduardo Brandão Pinto (Brésil, Universidade federal fluminense), au road movie romantique de Toward the Sun de Wang Yi-Ling (Taïwan, National Taiwan University of Arts) ; des arcs en ciels aux lumières fraternelles, des chemins sur lesquels on aimerait revenir vite.

Le court métrage de l’édition 2017 de la Cinéfondation qui a le plus retenu notre attention est Afternoon Clouds (Inde, Film and Television Institute of India) de Payal Kapadia. On évitera ici tout commentaire sur l’Inde et le cinéma, d’autant qu’Afternoon Clouds est une épure magnétique qui, sur un rythme indolent (celui du vent, des plantes) s’inscrit peut-être plus à la croisée d’un cinéma artistique asiatique (entre Hou Hsiao-hsien et Apichatpong Weerasethakul) que du cinéma indien contemporain (Bollywood, pour aller vite).

Afternoon Clouds se déroule sur une journée : un après-midi passé entre Kaki et Malti, entre une jeune femme et une autre plus âgée. La première est peut-être la servante de la seconde, on ne saurait le dire tant ce film ne s’organise pas autour d’une intrigue de relation de classes. On peut également croire que l’une est la fille, l’autre la mère, voire que ces deux personnages sont – au final – une seule et unique personne.

Afternoon Clouds épouse une temporalité spécifique, celle d’un onirisme au présent. Le présent, c’est celui du chat, des oiseaux et des hommes à nourrir. On s’occupe les uns des autres. On se transmet des recettes. Le temps est également celui des plantes, de la lumière, du vent et des vagues, que l’on entend parfois au loin. La fleur constitue ici un motif central, symbole de la beauté éphémère et incarnation d’un savoir-faire. Maki et Malti remplissent ce présent de leur souvenir et de leur rêve. Souvenir du mari Kaki dont on croisera le fantôme et rêve ou souvenir de Sapan dont l’apparition suggère tout autant une charge sensuelle et exotique que l’amour impossible, perdu et brisé sur un décor de marches d’escaliers (Wong Kar-wai).

On pourrait arrêter là notre commentaire, mais ce serait passer à côté d’une des singularités de cet Afternoon Clouds : sa mise en scène hiératique découpe le réel en tableaux telles les cartes postales que Sapan montre à Malti ou encore telles les illustrations qui rythment et découpent le film comme un jeu de cartes. Ce n’est sans pas un hasard si ces cartes postales s’ouvrent (parfois) sur des horizons extérieurs (fenêtre) ou parfois paraissent même entièrement vides (sans personnages). La maison d’Afternoon Clouds est une maison de cinéma, ouverte qu’il s’agit d’habiter et dont chacun peut s’emparer.

Donald James