Festivals 24/05/2017

Cannes 2017 : Compétition officielle, les drames et la consolation

Les années se suivent et ne se ressemblent pas, dit l’adage. Après une sélection 2016 qu’on avait trouvé assez médiocre, la proposition de films en lice pour la Palme d’or cette année nous aura plutôt rasséréné. Commentaire à chaud, après la projection de presse, de ce programme équilibré, avant même de savoir que “A Gentle Night” du Chinois Xiao Cheng Er Yue allait emporter la Palme d’or du court métrage et ainsi succéder à “Timecode”, lauréat l’an dernier..

Cannes, définitivement, ce n’est pas comme le concours de l’Eurovision : on n’a pas systématiquement honte de l’heureux élu sélectionné pour représenter la France. Cette année, c’est donc un film d’animation qui a été choisi, comme l’avait été il y a deux ans le remarquable Repas dominical de Céline Devaux. Ce Pépé le morse (photo ci-contre), on le doit d’ailleurs à nouveau à une femme : Lucrèce Andreae, passée par les écoles des Gobelins et de la Poudrière (lire notre entretien avec la réalisatrice ici). Et comme il y a deux ans, c’est l’un des meilleurs (sinon le meilleur) films de la sélection officielle des courts en compétition. Gageons qu’on y reviendra, mais, loin des brefs travaux liminaires de la réalisatrice, le film séduit par son classicisme narratif (pas si courant dans l’animation au format court), sa volonté de camper des personnages, creuser une situation et jouer – peut-être trop volontairement, c’est son défaut – la carte de l’émotion. Si un onirisme bienvenu se fraye un chemin dans sa deuxième partie, le film, très graphique, s’arrime au réalisme, aux sentiments à vif, délaissant la tentation poétique ou strictement formaliste pour une proposition esthétique pas si commune et par là très convaincante. Reste une question. Pépé le morse, dont les personnages auraient pu être incarnés physiquement par des acteurs (ce qui se sent notamment dans des dialogues volontiers triviaux), nous aurait-il autant plu s’il n’était pas – hypothèse se concevant tout à fait – un film d’animation ?

Reste qu’au final, c’est pour une fois le seul représentant de la sélection qui ne soit pas une fiction en prise de vues réelles. Pas de documentaire cette année. Ni d’expérimental, ce qui, malheureusement, nous surprendra moins. Encore une fois, d’ailleurs, on pourrait être tenté de parler de “formatage” si l’on ne se fiait qu’au minutage des films : tous durent peu ou prou un quart d’heure. Une seule exception, le très discret Push it, film suédois de Julia Thelin (photo ci-dessous). Le film ne paye pas de mine, échappe, lui, réellement au calibrage world cinema dont on ne réussit jamais complètement à se défaire à Cannes. Et c’est justement, parce que c’est une toute petite chose charmante, comme entrée là en contrebande, que ce mini teen-movie clandestin nous plaît tant, respiration bienvenue, calme et dédramatisée un peu perdue au milieu de sujets graves et sérieux (on y reviendra). Ici, un lieu unique (un gymnase) et deux adolescents – une fille et un garçon – s’apprivoisant, se frôlant, se confrontant au gré d’épreuves physiques, de tiraillements, de gentilles provocations, qu’une battle de danse elliptique viendra un temps suspendre en quelques touchants champs/contrechamps. Un très beau tout petit film,
à l’image d’une discrète héroïne aussi boiteuse qu’attachante.

Ailleurs, disions-nous, des films nous donnant des nouvelles du monde (selon la formule consacrée). Des films par là-même chargés des maux qu’ils charrient, transmettent et documentent, des films “constat” ou “coup de poing” qui peuvent aussi amener le spectateur – et ce n’est pas leur faute – à se plaindre d’un déficit criant d’imaginaire et de fantaisie. À moins que les émissaires du cinéma dit de l’imaginaire n’aient su pour leur part convaincre les sélectionneurs, ce qui est aussi très possible, sinon probable.

 

 

 

 

 

 

  Across my Land de Fional Godivier                                                                          A Drowning Man de Mahdi Fleifel           

Du réel donc, du sérieux. Parce que le monde n’est pas gai (euphémisme) et que le cinéma est nécessairement – c’est aussi son rôle – son reflet. Des migrants pourchassés (Across my Land), exploités (A Drowning Man), des jeunes filles en deuil (Lunch Time), perdues (Damiana ou A Gentle Night, photo d'ouverture) ou tiraillées par un dilemme insoluble (Time to Go).  Force est pourtant de constater que ces films, à défaut d’être étonnants, étaient pour la plupart assez réussis. Ainsi, A Drowning Man de Mahdi Fleifel suit une journée durant un jeune Palestinien en exil se débrouillant comme il peut dans une ville de Grèce. Évitant la surcharge de pathos, plutôt sec dans son évolution, le film convainc tout autant que, à l’autre bout du monde, cet Across my Land coproduit par Joaquin Phoenix et interprété, entre autres, par sa sœur Summer (oui, c’était elle l’Esther Kahn de Desplechin). Le film de Fiona Godivier est l’esquisse glaçante de l’Amérique des années Trump, avec ses milices surveillant la frontière avec le Mexique, la chasse aux clandestins, la bigoterie banale et le culte des armes transmis de père en fils. D’aucuns considéreront que le film enfonce des portes ouvertes, paré de tics typiques d’un certain cinéma indépendant américain (longs travellings appuyés, design sonore prononcé, lenteur étudiée), ce qui n’est pas tout à fait faux. Il ne laisse en tout cas pas indifférent. Et, de fait, la sélection ne fut pas, cette année, tiède.

Peut-être est-ce aussi précisément pour cela, par réaction à la violence des temps, que l’on se sera volontiers laissé séduire par des films plus doux, plus indolents. Des films d’apprentissage (comme Push it) ou de réconciliation (comme Pépé le morse) ; comme si l’on recherchait aussi parfois dans le cinéma ce qui peut nous consoler…

Stéphane Kahn