En salles 05/04/2017

To be or not to be Corporate

Du court au long métrage, Nicolas Silhol affirme sa personnalité, sous l’étendard de Kazak Productions. "Corporate" est l’une des nouveautés d’une semaine de sorties encore bien fournie.

Le monde de l’entreprise représenterait-il, à intervalles réguliers, un milieu privilégié pour la réussite des premiers longs métrages français ? On se souvient, entre autres, de Ressources humaines de Laurent Cantet (2000) et de Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout (2004). Avec Corporate, Nicolas Silhol entre à son tour en immersion dans une filiale de multinationale et privilégie un angle d’approche qui est porteur d’une forte promesse dramaturgique, à travers des méthodes de management hélas extrêmement répandues et misant sur un lancinant harcèlement moral pour pousser à la démission les salariés sur lesquels on ne compte plus.

DRH de choc, Émilie Tesson-Hansen a été intégrée pour mener la sale besogne, jusqu’au jour où l’une de ses malheureuses cibles (proies ?) se défenestre aux yeux de tous dans l’atrium du très cosy siège de la société. L’inspection du travail entre en scène et les stratégies de chacun se déploient pour révéler ou dissimuler les secrets gênants. La dimension “documentaire” du film est précise, évidemment, à travers une peinture méticuleuse de tous les mécanismes juridiques induits, et la narration se fait alors réellement passionnante, à la manière des “films-dossiers” américains qui constituent le maître-étalon de l’efficacité en la matière.

Il est tentant de rapprocher les simulations de mise en situation en séminaire des tests cognitifs d’évaluation passés par les écoliers de Tous les enfants s’appellent Dominique, qui avait reçu le Grand prix du festival de Toronto en 2009. À l’issue de ce questionnaire informatique, le petit Quentin y était diagnostiqué “différent” de ses camarades. Le film était dominé par la personnalité de Violaine Fumeau, qui jouait la maman assommée par la nouvelle du petit garçon et que l’on redécouvre ici dans le rôle de l’inspectrice du travail qui se heurte à Émilie avant que celle-ci se résolve à collaborer et à combattre les injustices dont elle a été si longtemps complice.

Corporate suit avant tout la trajectoire de ce personnage de “killeuse” joué par Céline Sallette pour lequel il est d’abord bien difficile d’éprouver la moindre empathie, mais qu’une évolution intime conduit à une rédemption envisageable. Un défi narratif qui marqua également L’amour-propre, sélectionné à la Semaine de la critique en 2011 et dont le protagoniste, un artiste de stand-up, était intrinsèquement antipathique, odieux avec tous ceux qui l’approchaient, avant de montrer peu à peu une part d’humanité. Se coltiner à de tels (sales) types est déjà le signe d’une volonté à se défier de toute facilité. Corporate l’illustre avec conviction et même ampleur.

Christophe Chauville

Filmographie courts métrages de Nicolas Silhol

Tous les enfants s'appellent Dominique (2008, 20 min)
L'amour propre (2010, 35 min)

Photo : © Claire Nicol.