En salles 15/03/2017

Beyrouth Stories

Difficile de s’extraire du flot des sorties de la semaine ? C’est pourtant ce que mérite amplement le jubilatoire premier long métrage de Wissam Charaf, tourné au Liban et affirmant un style singulier. L’un de ses courts est en outre visible sur notre site depuis une semaine.

Les jeunes réalisateurs originaires du Liban sont presque obligatoirement marqués par la guerre civile ayant ensanglanté leur pays, même s’ils ne l’ont pas vécue ou s’ils ont quitté le pays très jeunes. Wissam Charaf n’échappe pas à la règle et revendique même le geste de filmer les stigmates du drame, deux décennies après sa conclusion.

Son cinéma est peuplé de fantômes et cette piste imprègne à la fois Tombé du ciel, court long métrage de 70 minutes présenté par l’Acid à Cannes en 2016, et le moyen métrage Après, primé à la même époque à Côté court à Pantin et revu plus récemment à Clermont-Ferrand. Un frère aîné qui réapparaît dans la vie de son cadet le croyant depuis longtemps mort ou un quadragénaire sorti de prison et rentrant chez lui, où tout a changé, sa famille ayant fui sans laisser d’adresse. Les personnages de Charaf sont en prise directe avec un passé et une violence qui les a marqués dans leur chair (voir la cicatrice du personnage d’Après), mais une différence de taille sépare les deux films, comme le témoin d’une double inspiration dans cette filmographie naissante. Au réalisme psychologique – et souvent poétique – d’Après répond la préoccupation burlesque permanente de Tombé du ciel, qui n’est pas sans évoquer le flegme désabusé d’un Elia Suleiman et caractérisait déjà Hizz ya Wizz, dont le rôle principal était tenu par Raed Yassin, qui joue aussi Omar, le plus jeune frère de Tombé du ciel. Ce cousin de certains héros “kaurismakiens” tombe successivement amoureux d’une cavalière ou d’une actrice, se bat pour s’en sortir et vivre pleinement dans une société en pleine mutation, toujours hésitante entre Orient et Occident, Islam et entertainement, guerre et paix... Cela ne va pas sans peine et les gags s’accumulent, parfois paradoxalement graves ; il y a dans L’armée des fourmis (photo), sous-titré “un conte libanais”, des arrestations, le bruit des armes, des stigmates d’explosions, mais les choix comiques dégoupillent constamment le reflet de la tragédie.

C’est précisément ce grand écart qui fait le prix du regard d’un cinéaste doué à suivre de près, comme s’y emploie depuis ses débuts sa productrice fidèle, Charlotte Vincent d’Aurora Films.

Christophe Chauville 
 

Filmographie courts métrages de Wissam Charaf

Hizz ya Wizz (2004, 26 min)
Un héros ne meurt jamais (2006, 5 min)
L'armée des fourmis (2007, 23 min)
Manuel de survie d'un combattant (2016, 45 min)
Après (2006, 34 min)