DVD 26/01/2017

Une tranche de Moka

À l’occasion de la sortie en DVD de son dernier film, "Moka", nous avons voulu poser quelques questions à Frédéric Mermoud.

Le créneau, court métrage proposé en bonus de ce DVD, est à l’origine même de ce nouveau projet, puisque vous souhaitiez avant tout travailler à nouveau avec Emmanuelle Devos (qui était aussi en tête de casting de Complices, votre premier long métrage, en 2009). Pourquoi ? Et comment s’était effectuée le début de votre collaboration sur Le créneau ?

Le créneau est un court métrage que j’ai réalisé dans le cadre d’une collection initiée par Canal+ qui s’appelait “Écrire pour…”. J’avais très envie de tourner avec Emmanuelle Devos, car cette comédienne a quelque chose de fascinant, d’énigmatique, tout en étant très intuitive et naturelle. Et j’étais étonné de voir avec quelle aisance elle pouvait passer d’un univers à un autre. Pour Le créneau, je m’étais dit que je voulais la filmer comme une actrice américaine des années 1950, dans un noir et blanc dense et lumineux. Après nos retrouvailles sur Complices, j’ai dit à Emmanuelle que je voulais tourner un film dont elle serait le centre de gravité. Je voulais la filmer sous toutes ses coutures, dans une sorte de tentative d’épuisement d’un personnage si je puis dire, avec ses actions et ses silences. Ce désir de filmer une actrice est le point de départ de Moka.
 

Complices était le fruit d’un scénario original coécrit avec Pascal Arnold, Moka est l’adaptation d’un roman, signé Tatiana de Rosnay. Pourquoi ce choix et quelles différences majeures pour votre regard en tant que réalisateur, au tournage comme au montage ?

Quand j’ai lu Moka, je trouvais que le livre délivrait une proposition dramatique qui me permettait de brosser ce “portrait de femme”. Une mère est obsédée par la voiture qui a bousillé sa vie. Très vite, je me suis concentré sur un moment particulier du bouquin, vers la fin, quand la protagoniste décide de tout quitter, sa famille, sa routine, pour aller à la rencontre d’une autre femme, un peu plus âgée qu’elle, et lui demander des comptes. J’aimais que le personnage de Diane soit animée par un élan vital : d’ailleurs, au début du film, elle enfile une parka, la veste d’un chasseur... Elle se donne une cible et part pour enquêter. On pourrait alors se croire dans un thriller. Peu à peu, son voyage devient une quête : comment guérir de la perte de son enfant, comment regagner le rivage des vivants. Finalement, c’est une adaptation assez libre, j’ai imaginé de nombreuses scènes, tout en préservant la “back story” des personnages. Quand je compare ma démarche dans Complices et dans Moka, je ne vois pas de différence majeure dans ma position de réalisateur. Moka est un film très personnel, qui s’affranchit du livre pour tenter un regard et un rythme qui lui est propre. Et je trouve que mes deux films pour le cinéma ont un point commun : ils racontent un univers qui oscille entre le “genre” (le polar, le thriller psychologique) et l’intime.


En quoi votre implication, entretemps, sur l’aventure de la fameuse série Les revenants a-t-elle pu changer quoi que ce soit dans votre univers, votre approche, votre manière de faire ?

L’aventure des Revenants a été très excitante et féconde, car je suis venu très en amont sur la première saison de la série. J’ai vraiment pu collaborer au casting, au choix des décors, bref, j’étais aux côtés de l’auteur dans la conception du projet. Et cette série aussi oscillait entre un genre (le fantastique) et l’intime. Il y avait donc une communauté de sensibilité. Ce qui m’a marqué avec Les revenants, c’est sans aucun doute la place que peut prendre un paysage, un décor dans l’esthétique et la dramaturgie d’un film. J’ai toujours pensé qu’un film doit non seulement trouver ses personnages, son style visuel, mais aussi sa géographie. Et une des force des Revenants, c’est d’avoir trouvé cette géographie justement. Une géographie à la fois stylisée, réaliste et romanesque.


Pourquoi avoir choisi le Lac Léman et ses deux rives pour installer l’action de Moka, exceptée la familiarité que vous entretenez naturellement, étant suisse romand, avec ces paysages ?

On revient à la géographie du film ! Moka raconte aussi une rencontre, une sorte de duel, une confrontation entre deux femmes, entre Diane et Marlène (le personnage incarné par Nathalie Baye). Je trouvais intéressant que ces deux femmes, si différentes, habitent dans deux villes qui se font face, de part et d’autre du lac. C’est comme si le Lac Léman était une arène, un lieu de duel qui rappelle le western aussi. Et quand Diane vivote dans un hôtel d’Évian, le soir, elle peut voir les lumières de Lausanne, sa ville, sur l’autre rive,  qui font penser à des fantômes. J’aimais aussi le fait que ces paysages autour du lac soient très beaux, presque trop beaux et irréels. Cela donnait une dimension métaphorique à cette topographie. Il a une sorte de violence sourde dans ces monts et ce lac, une apparente beauté qui pourrait être létale. Et peu à peu, d’ailleurs, le motif de l’eau a contaminé tout le film. Dans chaque scène, il y a un élément aquatique : le lac, le centre thermal, un bassin, une terrasse au bord de l’eau. C’est presque l’inconscient du film, car l’eau renferme un paradoxe : elle peut aussi bien être à origine de la vie que minérale, donc du côté de la mort.


Quels sont vos prochains projets ? Envisagez-vous de refaire des courts métrages ?

J’aimerais me coltiner une comédie, car c’est un genre à la fois très excitant et très rigoureux. Et qui demande un sacré sens du rythme ! En ce qui concerne le court, je viens d’en terminer un, Pas vu pas pris, dans le cadre d’une collection très stimulante qui s’appelle La petite leçon de cinéma. Ce petit film s’inscrit dans le sillon de mes courts sur les adolescents, comme L’escalier (2003), et il commence tout juste sa carrière dans les festivals.

 

Propos recueillis par Christophe Chauville

 

Moka de Frédéric Mermoud, DVD et Blu-ray, Pyramide Vidéo, 19,99 euros (DVD) ou 24,99 euros (BR).
Disponible depuis le 17 janvier 2017.