DVD 10/05/2017

Paris vu par la Nouvelle Vague

Alors que la rétrospective Barbet Schroeder bat son plein au Centre Pompidou la ressortie en DVD du manifeste de la Nouvelle Vague, "Paris vu par...", permet de mettre l’accent sur son activité de producteur.

Fidèle admirateur d’Éric Rohmer, Barbet Schroeder fonde, avec le cinéaste, la société de production les Films du Losange, fin 1962, pour lui permettre d’avancer dans son projet des Contes moraux. Dans le premier, La boulangère de Monceau, Barbet Schroeder interprète d’ailleurs le rôle principal. À l’origine du film à sketches Paris vu par..., Schroeder réunit des cinéastes emblématiques de la Nouvelle Vague pour un tournage en 16 mm en demandant à chacun d’élaborer un scénario en lien avec un quartier de Paris. Si ni François Truffaut, ni encore moins Jacques Rivette, ne participent à cette aventure, cela tient à l’éviction récente de Rohmer du poste de rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, au bénéfice de Rivette. Cette prise de pouvoir a entraîné la démission de Jean Douchet, lequel se trouve signataire d’un des courts métrages de Paris vu par, Saint-Germain-des-Prés. Avec Rue Saint-Denis, Jean-Daniel Pollet est aussi de la partie ; Schroeder avait, peu avant, produit Méditerranée (1963), avec un commentaire de Philippe Sollers. Les autres réalisateurs sont Jean Rouch, ethnologue, artisan du cinéma direct et un des pères spirituels de la Nouvelle Vague, et, plus directement au cœur de ce mouvement, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard et Éric Rohmer.

Dans Gare de Nord (Rouch), Schroeder interprète le mari d’une jeune femme qui semble aspirer à d’autres horizons mais refuse de suivre ce rêve que lui propose de réaliser un homme que le hasard a mis sur ses pas. Une bonne part de la tension du film tient à un très long plan séquence qui commence par le petit déjeuner du jeune couple, leur dispute et se poursuit dans l’ascenseur – il s’agit en fait de deux plans, via une coupe invisible dans le noir de l’ascenseur – puis dans la rue où la jeune femme manque de se faire écraser.

Si le quartier de cette gare est évoqué au prisme de jeunes propriétaires modestes à l’étroit dans un petit appartement et à la vie gâchée par des travaux bruyants, le conte moral de Douchet met en scène la coexistence à Saint-Germain-des-Prés d’un bourgeois fortuné, d’un modèle de peintres sans le sou et d’une jeune Américaine fascinée par le quartier.

La rue Saint-Denis étant connue pour ses péripatéticiennes, Pollet organise une rencontre savoureuse entre son acteur fétiche, Claude Melki (Pourvu qu’on ait l’ivresse…, Gala) et Micheline Dax, dans le rôle de la dame, avec laquelle il finit par partager un frichti. On ne peut plus oublier la différence entre Florence et Bécon-les-Bruyères.

Chabrol pousse la cohérence à l’égard du quartier, La Muette, jusqu’à faire taire son couple de bourgeois (qu’il interprète lui-même avec sa femme Stéphane Audran) quand leur fils, las d’entendre leurs querelles, met des boules Quies. La farce est féroce.

Jean-Luc Godard s’inspire d’une nouvelle de Jean Giraudoux (une jeune femme envoie un pneumatique à deux de ses amants pour fixer un rendez-vous le jour même, mais elle croit qu’elle a inversé les enveloppes des deux destinataires en glissant les plis dans la boîte postale), passe du quartier Montparnasse (le premier amant est un sculpteur) à la banlieue, Levallois (le deuxième, carrossier) tout en confiant expérimentalement la réalisation du film à Albert Maysles.

Précision topographique, distorsion entre réalité plate et imagination délirante chez un homme ordinaire, Place de l’Étoile, apparaît comme un concentré des fondements de l’esthétique rohmérienne. Parmi les clients de la boutique de chemise où est employé le héros de ce sketch, on croise Jean Douchet et Philippe Sollers (photo).

Conçu et produit par un amoureux de la Nouvelle Vague, ce manifeste plus économique qu’esthétique – « le 16 mm n’est pas une panacée pour tous nos maux, mais peut-être l’instrument d’une révolution » déclara ainsi Barbet Schroeder – lorsqu’il sort en salle en octobre 1965, apparaît finalement comme le chant du cygne d’un mouvement qui commence à être décrié, moqué tandis que chacun de ses protagonistes va continuer de poursuivre son œuvre selon sa propre voie.

Paris vu par... avait fait l’objet d’une sortie DVD il y a quelques années. Même si cette nouvelle édition ne comporte aucun complément, sa qualité est incomparable. Restaurés, l’image et le son ont retrouvé tout leur éclat et la saveur de ces quelques courts métrages en apparaît démultipliée.

Jacques Kermabon

 

Paris vu par..., de Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Éric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol. DVD, éditions Montparnasse, 2017, 20 euros.

 

 

 

 

 

 

Gare du Nord

 

Rue Saint-Denis

 

La Muette

 

Place de l'Étoile