DVD 01/05/2017

“On dit Tchernobyl, on écrit Tchernobyl, mais personne ne sait ce que c’est....”

Le 1er mai 1986, le fameux nuage radioactif venu de Tchernobyl survolait la France en un jour férié ensoleillé, cinq jours après la catastrophe ukrainienne. Le cinéma a peu abordé l’événement et "La supplication" de Pol Cruchten, dont le DVD est récemment sorti, constitue une puissante exception.

Le nom de Pol Cruchten est peu connu chez nous, quoique ce Luxembourgeois ait étudié le cinéma à Paris, à l’ESEC, dans les années 1980. Son premier long métrage, Nuit de noces, avait été présenté à Cannes, dans le cadre de la section “Un certain regard”, en 1992, mais il a fallu finalement attendre un quart de siècle et La supplication pour parler à nouveau de lui, son adaptation du livre éponyme de Svetlana Alexievitch étant aussi surprenante qu’atypique dans la démarche. La supplication, sous-titrée “Tchernobyl, chronique du monde après l’Apocalypse”, avait en effet été entrepris par cette journaliste d’investigation biélorusse sur la base de plus de cinq cent témoignages de survivants du désastre, montrant tout à la fois la réalité de ce qui se passa sur le moment et dans les années qui suivirent (parfois à la limite de l’imaginable et du supportable), les mensonges et carences du gouvernement soviétique et, presque paradoxalement, une philosophie qui naquit dès lors, sur les décombres, dans l’esprit de ceux qui restaient et de leurs enfants.

A priori, l’œuvre de celle qui devai recevoir le Prix Nobel de littérature en 2015 était difficilement transposable à l’écran, mais le défi fut relevé en trouvant une forme oscillant entre fiction et documentaire, cette dimension résidant dans les récits des “voix de Tchernobyl” (selon le titre anglais du projet) qui portent en off les images de personnages silencieux incarnés par des acteurs, professionnels ou non, souvent filmés en regard caméra et nous entraînant ainsi au cœur de ce qui se joue.

Le parti pris esthétique – des images léchées, y compris de la zone du réacteur telle qu’elle est actuellement – se double du choix d’insérer des “visions” personnelles du réalisateur : une fillette dans un sous-bois, marchant entre les troncs de bouleaux, sur une herbe verte aux antipodes de l’image que l’on peut avoir des alentours du lieu du drame ; une femme assise au milieu des ruines, entourée d’oiseaux prenant leur vol, etc. De quoi réouvrir le débat éternel sur le rapport du fond et de la forme quand il est question d’une telle tragédie (dans quelle mesure peut-on faire du beau ou du poétique ?), mais il est tout aussi possible d'admettre que la dureté de ce qui est entendu (on reconnaît les voix de Marc Citti, Éric Caravaca, Salomé et Robinson Stévenin notamment) trouve peut-être précisément écho dans cette sophistication plastique. En un mot, sublimer afin de pouvoir approcher l’indicible.

Christophe Chauville

 

 

La supplication (Voices from Chernobyl) de Pol Cruchten,
DVD double (avec Never Die Young), La Huit, 17 euros.
Disponible depuis le 4 avril 2017.

Photo : © Jerzy Palacz