Cahier critique 24/05/2017

"When the Day Breaks" de Wendy Tilby et Amanda Forbis

Palme d’or du court métrage au Festival de Cannes 1999.

Évoquant la tradition plus ou moins anthropomorphique des fables, l’étrangeté des corps de When the Day Breaks nous apparaît d’autant plus familière qu’au lieu, comme dans le cartoon traditionnel, de distordre les corps, le principe, ici, consiste à demeurer au plus près de l’humaine condition en inscrivant les événements dans le quotidien le plus anodin et en conservant à la forme des personnages et à leurs déplacements une forte proximité avec l’apparence humaine.

Les principes de cette représentation aux modalités incertaines apparaissent finalement labiles, à l’image de ce dont, entre autres, le film nous entretient : la fragilité de l’existence, l’incertitude de notre devenir. Un rien, un malencontreux croisement de hasards suffit pour qu’une journée, commencée le plus banalement qui soit, vire au tragique.

En même temps, la force du cinéma d’animation est de ne pas être condamné à mimer la réalité. When the Day Breaks joue ainsi pleinement de cette liberté pour raconter, ou mieux, suggérer un tissu urbain, la multitude, l’entrelacs de mille ramifications, une infinité de matières, d’êtres, d’événements isolés et restituer le sentiment que, pris dans un mouvement perpétuel, tout cela communique.

Le film suggère en effet plus qu’il ne montre. De brèves ellipses et des accélérés disent le passage du temps. Un bruit lointain, des citrons qui ont roulé au sol, des objets épars, une voiture cabossée, etc., suffisent à restituer le drame, se détournant ainsi du spectaculaire tout en exprimant la dislocation d’un corps, voire d’une existence.

Par glissements progressifs, When the Day Breaks procède plus de l’association sensible que du cheminement logique. Ainsi, après l’accident, un précipité d’images enchaîne des organes, des cellules, des os, des photos de la vie du personnage accidenté qui nous font remonter jusqu’à sa naissance : un œuf. D’un certain côté, l’effet évoque une vie en accéléré, telle que, dit-on, elle nous apparaît aux portes de la mort. Rien ne permet pour autant d’assigner cet enchaînement à la pensée de celui qui s’éloigne, emporté dans l’ambulance. Un regard de la femme-truie, témoin du départ du véhicule, pourrait laisser entendre qu’il matérialise sa pensée à elle. Il est sans doute plus pertinent d’y voir à l’œuvre une méditation qui n’appartient à personne en particulier, mais qui, flottante, existe surtout dans la circulation qu’elle propose entre le film et ses spectateurs, suggérant une vanité, nous rappelant notre statut d’êtres d’organes et d’os. Cette sorte de scanneur d’une vie ainsi suggérée, si elle évoque le statut d’un corps livré à des machines médicales, renvoie à toutes les vies et à leur dérisoire.

Mais la vie continue. Quand, après l’accident, la femme se claquemure dans son appartement, et ferme son rideau, la chaise renversée, signe auparavant du désordre joyeux de ses pas de danse sortis d’une comédie musicale, évoque, dans son immobilité, une chute qu’on peut, dans le silence, associer à la mort. Ce meuble orphelin fait écho aux objets de l’homme qu’on découvrira peu après gisant, abandonnés dans l’appartement vide. Entre-temps, la cité qu’on parcourt au travers de ses flux électriques ou de ses canalisations n’a pas cessé son mouvement. Chacun vaque à ses occupations, indifférent au drame dont il n’a pas eu connaissance. Le film avait commencé par du noir et le bruit du métro pour arriver à la prise électrique à laquelle était branché le grille-pain. La boucle se boucle, par la même prise, on repart, en sens inverse, dans les entrailles de la Terre pour arriver jusqu’au métro où le sentiment de multitude de vies s’accélère.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°121, 2017.

Réalisation et animation : Wendy Tilby et Amanda Forbis. Image et montage : Wendy Tilby. Son : Marie-Claude Gagné. Musique originale : Judith Gruber-Stitzer. Production : Office national du film du Canada (ONF).

© Photo : ONF