Cahier critique 03/03/2017

"Planet Sigma" de Momoko Seto

Un conte sur la mutation climatique où l’infiniment petit côtoie d’immenses créatures. 

Aux confins de l’espace, un monde pétrifié renaît à la vie : abeilles, cafards et criquets s’extirpent peu à peu de leurs gangues de glace. Sigma, la planète des insectes géants, dégèle pour amorcer un nouveau cycle, métaphore accélérée de la disparition inéluctable de l’espèce humaine.

Planète après planète, Momoko Seto cartographie un univers singulier, qui oscille entre naturalisme et chimère. La réalisatrice japonaise, qui travaille aussi pour le CNRS, joue avec la réalité comme le ferait un gentil savant fou, tout droit sorti de la fiction populaire. Ses planètes sont composées des quatre éléments de base – eau, air, terre et feu – déclinés en variations cinégéniques : la glace, les gaz, les bulles, la fumée ou les éruptions sous-marines. Un vrai-faux monde naît ainsi de la maîtrise de la réalisatrice – qui assure le cadre et la photographie – et sa longue expérience de “créatrice de nouvelles galaxies”. Illusionniste, elle considère la dimension sonore comme l’égale de l’image, et non comme faire-valoir : ce qui ne se voit pas s’entend. Un trompe-sens parfaitement orchestré, servi par une esthétique qui suggère la fragilité d’une telle beauté, de l’harmonie qui s’en dégage.

Récit fantastique empreint de suspense, le film maintient en permanence une confusion temporelle qui s’ajoute aux dérèglements des valeurs d’échelles : dans un même plan, l’œil perçoit un vol stationnaire d’abeilles “au ralenti” au-dessus d’un énorme champignon blanc qui croît en quelques secondes. Cette distorsion artificielle du temps évoque un cycle de vie naturel bien réel, menacé par des phénomènes écologiques terriens catastrophiques : le réchauffement de la planète et la disparition annoncée des abeilles, provoquée par l’utilisation abusive de substances phytosanitaires par l’homme. Si la réalisatrice évite soigneusement de convertir sa vision poétique en film à thèse, l’ultime plan fixe du film – un tapis d’abeilles mortes – est la représentation d’autant plus forte du message apocalyptique sous-jacent.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°116, 2015.

Réalisation, scénario et création graphique : Momoko Seto. Image : Julien Guillery et Momoko Seto. Décors : Marie-Zoé Legendre. Montage : Denis Bedlow et Momoko Seto. Son : Quentin Degy et Gaël Morice. Effets spéciaux : Hugo Arcier. Musique : Yann Leguay. Production : Les films de l'Arlequin.