Cahier critique 01/01/2017

"L’île aux fleurs" de Jorge Furtado

Attention film culte !

“Ceci n'est pas un film didactique”, pourrait­-on dire à la Magritte. Le titre enjôleur et embaumé de L'île aux fleurs est une antiphrase bien à l'image d'un film qui, de retournements en glissements, pratique avec maestria la douche écossaise et un humour caustique qui étrangle notre rire aussitôt après l'avoir suscité.

Une voix monocorde platement illustrative par rapport à l'image (et réciproquement) débite des définitions à la fois générales et particulières sur l'humanité : un Japonais qui cultive des tomates au Brésil, une femme qui achète des tomates dans un supermarché pour nourrir sa famille, le porc, le propriétaire des porcs, etc. On semble suivre un fil puis la description s'arrête, on passe à une définition. On ne sait pas très bien où l'on va. On revient sur les mêmes choses, en particulier sur cette supériorité de l'homme : son “encéphale hautement développé et son pouce préhenseur”. Les images sont hétérogènes, mêlant des scènes de documentaires, des portraits (individuels ou de groupe), des séquences d'archives, des schémas, des collages où l'image tressaute comme un flipper électrique. L'île aux fleurs, c'est le chaos du monde filmé et classé par une sorte de Facteur Cheval du documentaire qui, entre Swift et Luc Moullet, brasserait un bric-à-brac de données platement objectives sur fond d'ironie et de lucidité pessimiste – excusez le pléonasme. Bric-à-brac, voire. Car tout cela aboutit à la décharge publique sise sur l'Île aux fleurs, là où les autochtones les plus pauvres fouillent les ordures après les porcs pour y trouver quelque nourriture. Rien à voir avec un pensum tiers-mondiste plein de bons sentiments. La charge est d'autant plus forte qu'elle s'inscrit dans le normal, la vérité, la logique, le cours du monde, décrit avec cet humour qui est, comme chacun sait, la politesse du désespoir. Et la dénonciation est d'autant plus efficace que l'horreur n'est pas dite, mais nous saute à la gorge.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°9, 1991.

Réalisation et scénario : Jorge Furtado. Image : Roberto Henkin et Sergio Amon. Son : Vengus. Montage : Giba Assis Brasil. Musique : extraite de O Guarani de Carlos Gomes. Direction musicale : Geraldo Flach. Voix : Paulo José. Interprétation : Ciça Reckziegel, Tokehiro Suzuki, Gosei Kitajima, Luciane Azevedo, Douglas Trainini, Julia Barth, Igor Costa et Irene Schmidt. Production : Casa de Cinema.

Ours d'argent au Festival international du film de Berlin 1990, Prix de la presse et prix du public au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 1991.