Cahier critique 31/03/2017

"Ce n’est pas un film de cow-boys" de Benjamin Parent et "Fais croquer" de Yassine Qnia

Révélation du Festival de Cannes 2012 et hymne à la tolérance en forme de teenage-movie.

Ce n’est pas un film de cow-boys et Fais croquer, deux films qui reviennent sur un stéréotype, celui du “jeune-de-banlieue”. Qui dit banlieue dit feu, tant la notion brûle, tant son régime ne cesse d’être le cœur et le symptôme d’un certain malaise de notre société. Loin de toute manipulation, les deux courts métrages se réapproprient une image asséchée par les médias (quand il faut choisir entre victime ou bandit…) et ce, sans agiter de drapeau (ces salutaires coups de gueule qui ne sont finalement que des coups d’épée dans l’eau). Il n’y a rien de spectaculaire, ni de révolutionnaire ici, seulement et modestement une idée forte, du parler vrai et un sujet couvert par l’extrême onction de l’humour, le tout sans aucune religion ni profession de foi, sinon celle du cinéma. Car le septième art sert d’écrin à ces films et ce qui pourrait paraître anecdotique ou anodin ailleurs, ne l’est aucunement, bien au contraire, ici-bas.

Ce n’est un film de cow-boys se déroule dans les toilettes d’un lycée où, côté filles comme côté garçons, on discute du film du dimanche soir diffusé à la télévision, à savoir Le secret de Brokeback Mountain. Le faux western et vrai mélodrame gay d’Ang Lee suscite l’émoi adolescent. Chacun porte un regard différent sur l’homosexualité. Dans l’alcôve, l’intimité indécise, gênée voire intimidée des filles et garçons se dénude. Au-delà de ses dialogues vivants et de ses caractères tranchés, le teen movie de Benjamin Parent séduit avant tout pour son parti pris, celui d’avoir choisi pour décor un huis clos. Telle une chambre noire, ce lieu se révèle propice à l’évocation et au dévoilement du tabou. Une fois dehors, l’intimité se cache, le silence ou le consensus exigé par le groupe s’impose.

Entre deux blocs d’immeubles, à travers des appartements HLM ou dans un fast-food halal, Fais croquer, s’il suggère également un “enfer” du groupe, sa charge d’autodérision lui confère un tour franchement comique comme le suggère son synopsis : Yacine, un jeune réalisateur amateur, vient de gagner un concours de scénario ; il ne lui reste plus que quelques jours avant le tournage ; il aimerait faire répéter ses acteurs, mais son équipe n’est pas encore au complet ; l’un de ses comédiens est dyslexique, son meilleur ami voudrait “croquer” (c’est-à-dire avoir un rôle) et une incertitude plane sur l’identité de l’actrice qui incarnera le personnage féminin. Le réalisateur Yassine Qnia met en scène une bande de pieds-nickelés au pays du cinéma. De l’anxiété à l’abandon, le gouffre de désespoir du réalisateur débutant (interprété par le réalisateur lui-même…) est à la mesure des âneries de ses amis et des péripéties qu’il doit affronter dont le racisme intracommunautaire, le regard misogyne et l’amour propre de chacun.

Il y a dix ans les critiques de cinéma s’interrogeaient sur les nouvelles problématiques dégagées par l’irruption de la vidéo dans le cinéma. Dans Fais croquer, la petite caméra est, au côté de son possesseur, devenue un acteur. Fais croquer entrelace un jeu de miroirs entre fiction-réalité et fiction à réaliser, et joue avec brio sur l’effet induit par sa caméra de poche : tout le monde, un jour, devient bel et bien réalisateur, même un “jeune-de-banlieue”. Avoir accès à la caméra, c’est avoir accès au pouvoir, mais lequel ? À la différence de films récents signés par des réalisateurs issus de l’immigration, comme Rengaine de Rachid Djaïdani ou Donoma de Djinn Carrénard, des films méritants certes mais qui déclinent leur identité dans le cercle restreint, Ce n’est pas un film de cow-boys et Fais croquer font exploser les frontières communautaires en s’abritant sous les murs de la maison cinéma. Non pas que la famille soit accueillante… Mais via un référentiel adoubé (Brokeback Mountain d’un côté, Scarface de l’autre), en s’autodésignant fils de cinéma, ces deux court métrages réussissent à en découdre avec les stéréotypes qui leur collent à la peau et à évoquer cinématographiquement les intempéries de l’identité à l’heure contemporaine.

Donald James

Article paru dans Bref n°106, 2013.

Ce n’est pas un film de cow-boys
Réalisation : Benjamin Parent. Scénario : Benjamin Parent et Joris Morio. Image : Nicolas Loir. Son : Arnaud Julien, Guillaume Dham et Olivier Do Huu. Montage : Béatrice Herminie. Interprétation : Malivaï Yakou, Finnegan Oldfield, Leïla Choukri, Garance Marillier et Damien Pinto Gomes. Production : Synecdoche.

Fais croquer
Réalisation : Yassine Qnia. Scénario : Mourad Boudaoud, Carine May, Yassine Qnia et Hakim Zouhani. Image : Marianne Tardieu et Ernesto Giolitti. Son : Clément Maléo, Louis-Philippe Onguele et Samuel Beaucamps. Montage : Linda Attab et Hakim Zouhani. Interprétation : M’Barek Belkouk, Mounir Idriss, Rudy Mendy, Smaïl Chaalane et Mohamed Farhoud. Production : Nouvelle Toile.