En salles 09/10/2023

Du court au long : Iris Kaltenbäck à la recherche de l’émotion juste

Sélectionné en compétition à la Semaine de la critique, à Cannes, en mai dernier, le premier long métrage de cette jeune réalisatrice passée par la Fémis sera à voir en salles à partir du 11 octobre. Son film de fin d’études, Le vol des cigognes, est toujours disponible sur notre plateforme.

C’est le 11 octobre que sortira en salle Le ravissement, premier long métrage signé Iris Kaltenbäck. Une œuvre en prolongement de son film court Le vol des cigognes, qui la révéla huit ans plus tôt. Le désir d’enfant, la maternité, la pulsion, le déni : un concentré de vie qui bouleverse.

Le vol des cigognes et Le ravissement. Le fil rouge qui relie les films d’Iris Kalbtenbäck est clair. Car le premier est le prémisse du second, qui l’enrichit et s’épanouit. Les deux œuvres se complètent, et même davantage, dialoguent. Les titres déjà, jouent de la polysémie des substantifs “vol” et “ravissement”, et de leur correspondance. Dans les deux récits, une jeune femme (Ana/Lydia), en mal d’enfant, subtilise un bébé, et s’enfonce dans le mensonge. Mais jusqu’où ? Et combien de temps ? Si, dans le premier, l’héroïne a minutieusement planifié son action, celle du second bascule brusquement. La première est en couple, et construit sa supercherie pour son fantasme de vie avec son jules (alias Julien) militaire de retour, quand la deuxième sort d’une rupture amoureuse et démarre une autre histoire.

La première est isolée dans son obsession, quand la seconde réagit au bouleversement de la maternité de sa meilleure amie. Et Lydia est sage-femme, quand Ana a subtilisé une tenue professionnelle pour dérober le nouveau-né. Le court métrage reste dans l’action progressive de chaque scène, et dans un plus grand mystère de l’environnement et des motivations de la protagoniste, quand le long est accompagné par la voix off du personnage de Milos et du point de vue masculin, témoin de plus en plus impliqué dans l’aventure. Le romanesque s’est accentué, mais pas seulement. Car Le ravissement s’élargit dans une première partie, par un rendu documentaire sur le métier et sur la condition de sage-femme. Il raconte aussi comment des solitudes s’entrechoquent et tentent de s’apprivoiser.

Iris Kaltenbäck a mis à profit un sens de l’observation qu’elle a entraîné durant ses études en droit, en assistant à de nombreux procès. La réalité du monde qu’elle y a découvert a aiguisé son regard et son appétence pour les problématiques humaines qui fondent la société. C’est par l’intime que l’on peut aussi raconter le collectif. C’est par le singulier que des vécus et des ressentis communs se transmettent. C’est une immersion unique qu’elle a traversée, tout en développant alors sa cinéphilie. Regarder, écouter, infuser, le rêve d’adolescence de la jeune femme de faire des films ou de devenir avocate pénaliste s’est finalement mué en parcours de réalisatrice. Mais construit sur un terreau sociétal fertile.

Rendre compte de faits et gestes réels se retrouve transcendé aujourd’hui sur grand écran. L’humanité que défend l’auteure avance avec ses fêlures. Ana et Lydia sont des héroïnes ordinaires qui commettent l’extra-ordinaire. Le basculement déboule dans un fonctionnement quotidien, populaire, modeste, dans le pavillon du Nord-Pas-de-Calais du Vol des cigognes, et dans des arcanes peu vues de la capitale dans Le ravissement. On se souviendra longtemps d’Hafsia Herzi arpentant les rues et les couloirs, de son jeu toujours sobre et délicat, aérien et ancré à la fois. La présence de Lydia, rassurante pour ses patientes et pour son amie Salomé, se transmute en cheminement troublé. Et troublant. La cinéaste contourne la surenchère de la folie pour se concentrer sur un entêtement progressif.

Le sens de l’ellipse irriguait Le vol des cigognes, en fuyant l’explication psychologique. Si cette dernière ligne directrice est également la colonne vertébrale du Ravissement, la construction de ses quatre-vingt dix-sept minutes permet de développer avec précision le portrait d’une femme de son temps. Iris Kaltenbäck a passé ses trois ans d’études à la Fémis à Paris au département scénario. Ce qui lui a permis de peaufiner son approche du récit, tout en mettant la main à la caméra pour réaliser.

Pour Le vol..., elle a reçu le Prix du public de la section Next Generation au Festival court métrage de Bruxelles en 2016. Pour son premier long, elle a remporté le Prix SACD de la Semaine de la critique à Cannes en 2023. Sept ans les séparent. Sept ans de sagesse acquise ? Pas forcément, car l’auteure est jeune et pleine d’espoir, et son cinéma frémit. Mais elle fait preuve d’une maîtrise de son sujet et de sa forme. Elle a trouvé une directrice de la photographie idéale en Marine Atlan, copine de promo département image, à l’aise pour traiter les nuances chromatiques (Nos cérémonies de Simon Rieth) comme la captation d’une modernité troublée (After School, Knife Fight et Jessica Forever de Jonathan Vinel et Caroline Poggi). Quant à l’expérience des planches d’Iris, qui assista le metteur en scène Declan Donnellan au Théâtre des Gémeaux à Paris, pendant ses études de cinéma, elle lui a permis d’appréhender le rapport aux interprètes. Un lien qu’elle a nourri en filmant Claire Ganaye et Raphaël Acloque dans son court, puis Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse et Younès Boucif dans son long, au plus près d’une émotion juste. Avec précision et… ravissement.

Olivier Pélisson


 
À voir aussi :

- Le vol des cigognes, disponible sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Aftersun, de Charlotte Wells, révélé à la Semaine de la critique et disponible en DVD.