À nouveau l’heure de la récré, sous le regard de Claire Simon
À l’occasion de la sortie, le 14 novembre, de “Premières solitudes”, le nouveau film de Claire Simon, Sophie Dulac Distribution ressort en salles “Récréations”, son documentaire de 58 minutes réalisé il y a 25 ans.
58 minutes, c’est pour un adulte le temps d'un trajet quotidien en RER (de la gare de Palaiseau à Charles-de-Gaulle-Étoile par exemple), mais aussi pour un enfant le temps de trois récréations, donc d’une série d’arrestations, d’une séance chez le barbier, d’une vendetta, d’une intervention d’électricien… Ou tout cela à la fois, dans la joie et dans le désordre, à la vie à la mort, un pour tous et tous pour rien. “Je vais te tuer !”, “Au secours, je suis en prison !”, “Moi, je construis et toi tu vas faire les courses, comme ça on aura une maison et à manger.” Des sentences innocentes, des phrases pour faire “comme les grands”. Et dans ce “comme” se cachent des trésors de fiction. Claire Simon tourna peut-être, en 1992, un documentaire sur des enfants, mais ce sont eux qui, dans Récréations, mènent la danse et nous transportent dans leur imaginaire. Aidé par la musique qui crée l’ambiance dramatique et le suspense, le film transcende la réalité en montrant ces petits hommes et femmes jouer à tout et faire feu de tout bois, littéralement. La brindille est une denrée rare et chère sur le marché de la cour de récréation : gare à celui qui vole chez le voisin...
La caméra, à hauteur de leurs cinq ans (et demi !), se mêlent parmi eux et n’intervient jamais, elle est tout au plus une vague camarade de jeu (“Et puis elle, elle va nous filmer”) quand les regards se croisent. Quelques minutes arrachées à leurs fantaisies avant la cloche fatidique qui rappelle à la réalité de la salle de classe que nous ne verrons jamais. Il vaut bien mieux rester feutré dans la cour de récré, balayée par trois femmes, telles les techniciennes qui remettraient le plateau en ordre avant le prochain tournage. La leçon est finie et c’est reparti pour les histoires. Et quelles histoires ! Tout y est. La défense, la solidarité, la solitude, le besoin de reconnaissance et celui de pouvoir, la dévotion, la propriété, la violence physique et morale (d’autant plus terrible qu’elle semble inconsciente de son réel danger) et même peut-être les prémisses de l’amour. Tout se mêle et se tisse librement, sous l’œil distant de la respectable maîtresse. La rivalité est rude et le combat n’est pas terminé tant que personne ne pleure. Mais s’épanouir dans l’adversité donne lieu aux plus belles réussites et de l’enfant à l’adulte, il n’y a qu’un saut, au-dessus d’un banc.
Anne-Capucine Blot