Cahier critique 06/09/2022

“Un adieu” de Mathilde Profit

Une voiture longe les côtes françaises. À l’intérieur, un père emmène sa fille à Paris commencer sa vie étudiante, une nouvelle vie dans une ville inconnue, loin de son enfance et loin de lui. Ce voyage en tête-à-tête est leur premier et peut-être leur dernier. Rien ne semble exceptionnel, et pourtant ils savent tous deux qu’ils vont devoir se dire au revoir.

Un père aide sa fille à emménager à Paris, où elle s’apprête à commencer ses études : si Un adieu fait le récit d’une séparation, il s’agit d’un déchirement sans larmes, sans cris et sans drames. Rien ne saurait mieux résumer cet au revoir que le visage brièvement illuminé par un rayon de soleil de la jeune femme et le timide signe de la main qu’elle adresse à son père juste avant qu’il ne s’éloigne. Un billet glissé en douce ou un regard, légèrement méfiant, jeté à un voisin racontent tout aussi discrètement l’attachement que l’homme porte à son enfant. Peu accoutumés à se retrouver en tête-à-tête, les personnages apparaissent d’abord éloignés au sein du cadre, où ils occupent différents plans et des bords opposés. Le film esquisse ensuite un rapprochement en les montrant allongés l’un à côté de l’autre dans le minuscule studio de l’étudiante.

Aussi simple que les quelques notes de guitare qui rythment le film, Un adieu ne se limite pourtant pas à la seule description d’une relation père-fille mais raconte également avec justesse la difficulté du passage à l’âge adulte. Le physique du personnage féminin, qui possède des formes adultes tout en conservant des traits enfantins, figure bien cet entre-deux. Si un home tour filmé au téléphone portable témoigne d’une certaine excitation, de même que la rencontre d’un jeune Italien dans une station service annonce de possibles relations à venir, l’adolescente redoute en même temps de ne pas trouver sa place dans cette ville lointaine et inconnue.

La cinéaste fait d’ailleurs état de l’écart opposant Paris et la province à travers une scène de repas sur l’autoroute où la future Parisienne déguste son plat du bout de la fourchette, tandis que le père, aux manières plus bourrues, avale son repas sans broncher. La différence est plus flagrante encore entre les deux personnages, qui voyagent en camion et portent des vêtements décontractés et la propriétaire de l’appartement parisien, cycliste au look branché. Une cigarette allumée malgré interdiction ou une remarque sur une fenêtre dysfonctionnelle apparaissent alors comme de subtils pieds de nez au “bon goût” bourgeois. Autant de détails et de non-dits qui font la délicatesse et la sensibilité de ce beau premier court métrage primé à Angers, Grenoble, Pantin et Aix-en-Provence.

Chloé Cavillier

Article paru dans Bref n°126, 2021. 

France, 2019, 24 minutes.
­Réalisation et scénario : Mathilde Profit. Image : Martin Rit. Montage : Raphaël Lefèvre. Son : François Méreu, Sébastien Savine et Damien Tronchot. Musique originale : Santiago Dolan. Interprétation : Luna Carpiaux, Satya Dusaugey, Marc-Henri Parmeggiani, Cristina Marocco et Caroline Gay. Production : Apaches Films.