Cahier critique 16/10/2019

"The Robbery" de Jim Cummings

Quand ça veut pas, ça veut pas...

L’homme-orchestre Jim Cummings aime relever les défis. Déjà auteur de plusieurs courts métrages avant The Robbery, le scénariste-réalisateur-producteur expérimente à nouveau le plan-séquence, comme il le fit avec Thunder Road. Un galop d’essai de treize minutes, salué par le Grand prix du court métrage à Sundance, avant son premier long métrage éponyme, couronné, lui, d’un Grand prix aux festivals d’Austin et de Deauville. Ici, ce sont dix minutes virtuoses, où la caméra suit un personnage et ne le lâche pas d’une semelle. Ne “la” lâche pas d’ailleurs, car il s’agit d’une femme. Crystal, la bien-nommée, protagoniste au bord de l’implosion, de la première à la dernière image. Fragile, fêlée, qui se fissure, prête à se briser en mille morceaux, mais qui tient, telle une boule de nerfs dans le flipper de la vie. Image initiale dans un Uber, image finale dans une voiture de police. La boucle se boucle, et l’héroïne se boucle littéralement elle-même, puisqu’elle s’introduit à l’aveugle – sous l’effet d’une bombe lacrymo – dans le second véhicule, pensant qu’il s’agit du premier !

Le cinéaste triture les genres et les malaxe avec malice. Chronique sociale, suspense, thriller, farce, le tout débouchant sur une comédie noire. Un miroir tendu à la société états-unienne, avec son lot d’adresse politique (“Fuck Obama !”), sociétale (le statut étudiant de l’héroïne), technologique (téléphone, double appel, snapchat), et de constat réaliste (les armes en libre-service). Un réalisme servi par la prouesse du plan unique, qui fait éprouver au spectateur le vécu du récit. Immersion totale pour ce périple border line. Cummings affectionne les êtres déglingués aux actes, paroles et comportements inappropriés. Vision baroque du monde, dans laquelle la caméra effectue une circonvolution d’un point de départ à un point d’arrivée identiques pour le personnage, mais avec un point de vue évolutif. De l’intérieur vers l’extérieur. L’objectif prend donc ses distances avec Crystal, faisant initialement corps avec elle, pour finalement la laisser à son sort. Elle a dépassé les bornes en braquant le gérant du drugstore. Elle finit par en payer doublement le prix, sur le fond (embarquée par la police) et sur la forme (abandonnée par la caméra).

Rae Gray, actrice sur le fil, mène cette parabole sur l’obsession qui vire à la chasse à l’homme – à la femme. Ce n’est pas un hasard si elle évoque la saga Hunger Games, quand elle voit fuser autour d’elle les flèches décochées par l’arbalète du commerçant menacé. Nécessité de trouver instamment deux cents dollars afin de récupérer son pitbull, tout comme le flic texan de Thunder Road n’a qu’un but, obtenir la garde de sa fille. Autre point commun à la noirceur des deux films, le rose enfantin. Clin d’œil ironique. Là, celui du lecteur CD de la fillette du policier, ici celui du smartphone à coque brillante en forme de poing américain. Cummings et son coscénariste Dustin Hahn lancent eux aussi leurs flèches et étirent les lubies au maximum. Un art du flux tendu transposé sur grand écran. Un vrai travail d’équilibristes.

Olivier Pélisson

Réalisation : Jim Cummings. Scénario : Jim Cummings et Dustin Hahn. Image : Lowell A. Meyer. Son : Danny Madden, Ray Gaona et Sean Oakley. Interprétation : Rae Gray, Waymond Lee, Matt Miller et PJ McCabe. Production : Vanishing Angle.