Cahier critique 02/03/2021

“Olla” d’Ariane Labed

Olla a répondu à une annonce sur un site de rencontre de femmes de l’Est. Elle vient s’installer chez Pierre qui vit avec sa vieille mère. Mais rien ne va se passer comme prévu.

Avec Olla, court métrage de vingt-sept minutes présenté en 2019 à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, l’actrice française Ariane Labed fait ses débuts au cinéma en tant que réalisatrice. Comme elle nous l’a confié dans un entretien pour le n°126 de Bref, ce passage à la réalisation a été pour elle assez naturel. Le cinéma, dit-elle, “c’était déjà ce que je faisais. Je faisais des films. Ce que j’avais envie de faire avec Olla c’était de regarder et pas d’être regardée.” 

Olla, c’est Lola de Jacques Demy que le film de Labed, à travers une substitution de prénom imposé, évoque dès ses premières séquences. Comme LolaOlla met en scène une prostituée et joue avec les stéréotypes de la femme-objet. Mais plus que le film de 1961 de Demy, Labed prend pour modèle Jeanne Dielman… de Chantal Akerman (1976). Comme ce chef-d’œuvre du cinéma des années 1970, Olla est un film à la fois sur les gestes domestiques, dont chacun est chorégraphié comme un pas de danse, et sur le ballet mécanique de la vie conjugale. 

Provocateur et malsain, tragique et comique, théâtral et rugueux, épousant un rythme intense et implacable, ce court métrage ne laisse pas indifférent. Qui est cette femme ? D’où vient-elle ? Que vient-elle faire dans ce village périurbain ? Ariane Labed répond à ces questions sans jamais vraiment y répondre. Fantôme ou apparition, Olla sort de la brume. Évitant l’écueil d’un cinéma social dogmatique, Labed dessine une espèce de conte ou cauchemar pour adultes et travaille à rebours les stéréotypes de genre ; ceux, notamment, de la femme réduite à la fonction de poupée mécanique qui cuisine, nettoie, fait les courses, danse et doit écarter les jambes ad libitum. Avec cet objet de désir commandé par Internet (un peu comme dans la série Real Human), on est ici à la fois dans la science-fiction et dans le film à charge, détaillant au scalpel quelques attributs de la domination masculine dans l’espace domestique. Le tour de force de la réalisatrice consiste à proposer pour Olla une réappropriation suivie d’une émancipation à travers une série de séquences toutes plus troublantes les unes que les autres : celle où elle se masturbe dans la cuisine, celle où elle se prostitue et exécute une série de fellations et celle où elle danse et se frotte contre les murs du salon. Ces séquences en apparence malsaines ont toutes une fonction salutaire. Chacune permet à l’héroïne une réappropriation (sexuelle, sociale, domestique ou spirituelle). Le malsain ici, c’est le mâle qu’on croyait sain. C’est celui qui n’est pas vraiment méchant, qui sourit et qui, gentiment, platement, banalement, mécaniquement, ordonne et/ou conditionne. 

Nous avons évoqué Akerman comme l’une des références centrales de Labed. On ne peut, en voyant Olla jusqu’au bout, que penser au court métrage Saute ma ville (1968), dans lequel le personnage, interprété par la réalisatrice elle-même, mime avec une rage destructrice les gestes de son quotidien domestique avant de tout faire sauter – y compris elle-même – en ouvrant le gaz et en mettant le feu. Olla aussi met le feu et, sans tuer personne, s’en retourne en laissant derrière elle le monde qui l’a vu naître. L’explosion, quant à elle, reste dans le hors champ. C’est un autre espace à parcourir, un autre film à faire. 

Donald James 

Réalisation et scénario : Ariane Labed. Image : Balthazar Lab. Montage : Yorgos Mavropsaridis. Son : Johnnie Burn et Sergio Henriquez Martinez. Interprétation : Romanna Lobach, Grégoire Tachnakian, Jenny Bellay et Gall Gaspard. Production : Apsara Films et Limp.