“La nuit des sacs plastiques” de Gabriel Harel
Après Yùl et le serpent, Harel confirme la singularité de son cinéma.
C’est dans un Marseille californien, proche de l’imaginaire de Los Angeles et d’Hollywood, que se déroule La nuit des sacs plastiques, le dernier film d’animation de Gabriel Harel, auteur de récits singuliers mêlant le réalisme le plus quotidien au fantastique le plus étrange (voir son film précédent, Yùl et le serpent, 2015, Bref n°117).
Au coeur de cette nuit étoilée, un premier sac plastique vole dans les airs, plus bas qu’un hélicoptère inquiétant, tandis qu’une jeune femme volontaire soliloque, en marche déterminée pour retrouver son ex-compagnon DJ à qui elle veut fermement faire un enfant. Elle ne sait pas encore que cette nuit sera peut-être la dernière pour l’humanité, les sacs de supermarché devenant prédateurs, agissant vite, par étouffement.
“Le temps file, j’ai bientôt trente-neuf ans !”, dit Agathe. C’est l’urgence qui régit les rapports des personnages dans La nuit des sacs plastiques. L’urgence de vouloir devenir mère à tout prix, comme l’urgence d’échapper au pire. Une question de vie ou de mort. Les deux lignes narratives improbables, mêlant intimisme et film de genre, se matérialisent esthétiquement (le noir et le blanc contaminé progressivement par des taches de couleurs envahissantes) et se rejoignent dans une scène finale audacieuse et étonnante.
Dès le départ du film, la musique électronique d’Étienne Jaumet (du groupe Zombie Zombie) justifiée par la rave inaugurale, sous-tend l’angoisse distillée progressivement par un récit influencé par les films d’invasion (d'extraterrestres ou de morts-vivants). Fluorescents comme les méduses, les sacs sont aussi attirants que dangereux. Ils perdent leur fonction utile pour devenir autonomes et volontairement meurtriers. Pourchassés par les écologistes, remplacés par des emballages en papier recyclables, les sacs plastiques se rebellent et rêvent d’une nouvelle ère où ils auraient un rôle à jouer. L’obsession d’Agathe de vouloir faire un enfant tombera donc à pic !
Dans le bunker où se tient la rave, les plans-vignettes saccadés s’animent pour devenir ensuite de plus en plus fluides. Les décors du dessinateur Grégoire Carlé ramènent l’univers graphique du film vers une forme de ligne claire. La nuit des sacs plastiques tient autant de la bande dessinée pulp que d’un univers pop tendu, constamment rehaussé par une bande sonore riche et frémissante où dominent les voix marquées des comédiens Damien Bonnard et Anne Steffens, jusqu’ici connue comme égérie du cinéaste Benoit Forgeard.
Bernard Payen
Article paru dans Bref n°124, 2019.
Réalisation : Gabriel Harel. Scénario : Patricia Mortagne et Gabriel Harel. Image : Simon Roche. Animation : Eve Ceccarelli, Laurent Moing, Hugo Bravo et Ariane Teillet. Effets visuels : Nicolas Trotignon et Mathieu Vernerie.
Montage : Nicolas Desmaison. Son : Mathieu Descamps, Claire Cahu et Samuel Aïchoun. Musique originale : Etienne Jaumet. Interprétation : Anne Steffens et Damien Bonnard. Production : Kazak Productions.
Avec la participation de CANAL+