Cahier critique 01/11/2022

“Fille de la mer baltique” d’Éléonore Berubbé

Anastasia est une jeune femme russe née sur les cendres de l’Union soviétique, à l’aube d’Internet. Vivant désormais en France, elle éprouve à la mort de son père un immense vertige : celui de devoir trouver sa place dans cette nouvelle réalité.

Nous entrons dans le film avec des images de Google Street View, des vues aériennes, puis cette forme étrange de travelling actionné par la souris de l’ordinateur, qui permet de déambuler sur les routes du monde entier en restant devant son écran. Ces photos de lieux reviendront à plusieurs reprises mais, bien qu’elles soient produites par un outil conçu pour situer et visualiser précisément un point géographique, nous ne saurons jamais vraiment de quels endroits il s’agit. Au contraire, avec les visages floutés des passants et le mouvement par saccades successives qui les pixellisent, ces images participent à la création d’un espace mental composé de souvenirs et peuplé de fantômes.  

C’est d’ailleurs à la mort de son père qu’Anastasia ressent le besoin d’entreprendre un voyage vers les lieux où elle a grandi, en Russie, et en particulier jusqu’à cette plage près de la mer Baltique où elle passait ses vacances lorsqu’elle était enfant. Nice et Kaliningrad sont évoqués, mais nous ne savons pas davantage d’où partent Anastasia et les deux amies russes qui l’accompagnent, Lena et Vika, ni quel trajet elles empruntent. À une géographie du réel est ainsi substitué un dédale temporel qui comprend souvenirs, moments présents (dans ces lieux interchangeables et hors du temps que sont les hôtels) et quête d’une identité en train de se construire. 

Le symbole du labyrinthe est d’ailleurs présent à plusieurs reprises, dans la voix-off d’Anastasia composé à partir de ses textes, ou dans la séquence qui nous montre les trois amies perdues dans un véritable labyrinthe. Et c’est encore cette image qu’Éléonore Berrubé utilise pour définir son récit documentaire : “Le film se situe constamment dans le hors-champ, dans ce qui pourrait être ou ce qui ne sera pas, perdu dans un dédale de possibilités et de chemins à emprunter.” 

Dans son premier court métrage, Toutes les couleurs de la nuit (2016), la réalisatrice explorait déjà différentes strates temporelles en travaillant ces questions du souvenir, de l’oubli, de la mémoire des choses passées mais toujours présentes. Dans Fille de la mer Baltique on songe parfois à l’univers de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, et la quête d’identité semble à l’image de cet étrange rituel que Lena propose à Anastasia à partir de son reflet démultiplié par les miroirs – chaque tentative de se définir ne cesse de renvoyer à une infinité de possibles. 

Anne-Sophie Lepicard 

France, 2019, 50 minutes.
­Réalisation et scénario : Éléonore Berubbé. Image : Marine Atlan. Montage : Suzana Pedro. Son : Antoine Morin, Olivier Voisin et Damien Favreau. Musique originale : Emmanuel Roux. Interprétation : Anastasia Tsarkova, Elena Sorokina et Victoria Aresheva. Production : Petit Chaos.