“Boustifaille” de Pierre Mazingarbe
Hauts-de-France, 2018. Daphnée refuse de présenter ses parents à son petit ami Karim, ce dont il souffre. Alors qu’elle se rend chez ses parents, Karim force le destin en se cachant dans le coffre de sa voiture.
Depuis Blanche, en 2010, on aime beaucoup les films de Pierre Mazingarbe, lesquels confortent au fil du temps notre intérêt pour une personnalité de cinéaste singulière et atypique, arrimée entre bizarrerie, fantastique et burlesque.
Farce gore pimentée de critique sociale et légèrement assaisonnée de romantisme goguenard, Boustifaille n’a cessé, depuis 2019, de courir les festivals et d’égayer les écrans, petits et grands, de ses giclées de sang. En un mot – et si l’on faisait fi des limites de diffusion liées à son format –, Boustifaille serait le blockbuster de Mazingarbe, le film par lequel, enfin, son cinéma toucherait un plus large public. Une sorte de comédie idéale, populaire et exigeante, raccommodant le cinéma de genre aux ficelles du vaudeville.
Ainsi se délecte-t-on de cette histoire de jeune femme venant présenter son nouveau fiancé à des parents pas comme les autres tout en mesurant parallèlement comme l’originalité dingo et foisonnante de Ce qui me fait prendre le train ou de Moonkup - Les noces d’Hémophile y semble mise en sourdine, comme apprivoisée au profit d’une efficacité narrative à toute épreuve, de dialogues savoureux et de partis pris plastiques propres au genre.
Comme pour faire le lien avec ses deux premiers films, Mazingarbe invite à nouveau dans son conte macabre la comédienne Géraldine Martineau, que l’on avait tant aimée aussi dans les teen-movies de Rudi Rosenberg, Aglaé et Le nouveau. Elle retrouve, dans Boustifaille, un rôle de jeune femme forte, qui n’est pas sans évoquer la collectionneuse qu’elle jouait dans Blanche, le premier film du réalisateur. Mais au goût de celle-ci pour la fantaisie érotique et la diversité des expériences (à chaque jour de la semaine un amant différent… enfermé dans une boîte) succède pour l’héroïne de Boustifaille le poids d’une malédiction familiale l’obligeant à livrer à l’appétit vorace de ses parents des proies masculines précisément choisies pour le peu de sentiments qu’elles lui inspirent (mention spéciale à l’insupportable Nicolas, tennisman amateur “classé 15/2”). Voilà qui est fâcheux lorsque, pour la première fois, Daphnée tombe réellement amoureuse…
Si nous sommes bel et bien dans une comédie satirique, et pas dans La colline a des yeux ou Massacre à la tronçonneuse, c’est notamment parce que ces parents bien mis n’ont à première vue rien d’effrayant (quoique…). Mais quand l’imprévu vient gripper la petite routine sacrificielle à laquelle ils contraignent leur fille chaque week-end, c’est l’apparence aimable de ces riches bourgeois s’ébrouant dans l’opulence de leur grande maison qui vole en éclats dans un déferlement de violence burlesque à laquelle Olivier Broche et Anne Benoît viennent apporter une jubilatoire démesure comique.
Après ce dernier chapitre en date d’une filmographie courts métrages déjà passionnante, vous aurez bien compris qu’on ne demande qu’à voir la suite…
Stéphane Kahn
France, 2019, 18 minutes.
Réalisation : Pierre Mazingarbe. Scénario : Xavier Lacaille, Pierre Mazingarbe et Thomas Pujol. Image : Brice Pancot. Montage : Hoel Sainleger. Son : Rémi Mencucci, Valentin Mazingarbe et Éléonore Mallo. Interprétation : Géraldine Martineau, Moustafa Benaïbout, Anne Benoît, Johann Cuny et Olivier Broche. Production : Balade Sauvage, Pictanovo et Le Fresnoy.